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Mein Zuhörer oder der türkische Patient, titre que l’on peut traduire par « Mon auditeur ou le patient turc », propose un scénario intelligent, quelque part entre comédie noire et thriller, misant sur les surprises et les rebondissements… Et le titre va s’avérer trompeur…
Le Dr Sorgenfrei, psychiatre d’une petite ville de province, mène une existence tranquille en attendant la retraite. Toute la journée, il s’occupe de ses patients et de leurs pensées abracadabrantes. Un jour cependant, un nouveau client fait irruption dans son cabinet et sollicite une consultation impromptue. Sorgenfrei accepte, sans savoir que son quotidien routinier va prendre une tournure inattendue lorsque, au cours de l’entretien, son nouveau patient lui révèle être un tueur de masse, et pas n’importe lequel.
Un patient pas comme les autres
Mein Zuhörer oder der Türkische Patient détonne au sein d’une production allemande réputée conservatrice et plutôt orientée films d’auteurs ou comédies lourdingues. Il convient donc de préciser que le film d’Erkan Lüleci fait partie de la catégorie des films indépendants, comme le démontre son système de production. En claire, l’équipe technique se limite à deux personnes et un réalisateur qui s’investit dans plusieurs postes. Les dépenses ne sont couvertes par aucune subvention. La seule aide dont a bénéficié le projet concerne le mixage sonore, généreusement offert par 5.9 Filmproduktion. L’Allemagne s’est fait une spécialité de cette catégorie de film, et pas seulement dans le domaine du gore. D’ailleurs, Erkan Lüleci n’en est pas à son premier coup d’essai… Même s’il s’agit ici de son premier long métrage, le réalisateur est déjà responsable de six courts. Dont vEmotion (2019) qui a raflé plusieurs prix en festivals.
Mein Zuhörer se démarque par une interprétation quasi professionnelle et des moyens de production décents, ou en tout cas cohérents, puisque l’histoire se déroule principalement dans le bureau du psychiatre…
Le film bénéficie de nombreux seconds rôles qui se font remarquer dans des saynètes amusantes, introduisant le quotidien de Sorgenfrei. À ce moment-là, le film fait montre de beaucoup de finesse dans son humour. Par exemple, un patient d’origine africaine souffrant de paranoïa accuse sa belle-mère de racisme parce que chez elle, tout est blanc, y compris les pilules qu’elle lui donne…
Le métrage démonte alors le mythe du psychiatre menant une vie palpitante avec pléthore de cas passionnants à traiter. Le quotidien de ce médecin-là n’a en effet rien de renversant. En particulier lorsque le spécialiste reçoit la visite d’un agent du fisc corrompu qui s’entête à réclamer des dessous de table. La séquence, excellente et drôle, fait également grincer des dents et annonce la suite…
Une fois que Sorgenfrei s’est débarrassé de ce SS de bas étage, il retourne à ses patients égocentriques et narcissiques pétris de problèmes anecdotiques. Jusqu’à ce que débarque, enfin, un patient pas comme les autres. Celui-ci va délivrer son auditeur de son ennui. En effet, le traitement de son patient ne pourra pas, cette fois-ci, se limiter à la prescription de pilules diverses et variées.
Des ambitions mais une dernière partie qui s’embrouille
Une fois que le patient turc s’installe sur le canapé de Sorgenfrei, la critique sociale persévère mais se teinte de thriller lorsque celui-ci déclare qu’il est un tueur en série. L’humour noir ne s’éclipse pas pour autant alors que le malade détaille ses secrets pour passer inaperçu et ainsi garantir sa réussite. C’est d’ailleurs cet anonymat qui pèse sur son moral… Et l’absence de publicité dans les médias autour de ses crimes l’oblige à se confier régulièrement sur le canapé de psychiatres pour combler son égo insatisfait. Or, notre bonhomme dispose d’un égo surdimensionné en raison de sa célébrité… Lorsque le psychopathe dévoile son nom, le film prend alors une dimension fantastique, tandis que les révélations stupéfiantes explorant le douloureux passé allemand rythment l’histoire.
C’est pourtant à partir de ce moment-là que Mein Zuhörer oder der türkische Patient baisse en intensité…
Les trente premières minutes, amusantes et remarquables grâce aux dialogues bien sentis, font alors place à des questionnements plus directs. À l’image de son patient hors du commun, le film devient plus sérieux et les menaces que ce dernier profère font perdre au film son attrayante légèreté. Seul semble alors compter, pour le réalisateur, le message à faire passer.
La finesse de l’humour s’éclipse et fait place à des réflexions plus convenues sur la manipulation des masses… Comme l’idée que les femmes peuvent être plus radicales que les hommes, le wokisme, l’activisme climatique, la réincarnation, Dieu, le Diable, l’Au-delà… Des sujets passionnants, mais qui, ici, sont abordés sous la forme d’un monologue, dans la mesure où les parades de Sorgenfrei manquent de pertinence.
Dès lors apparaît aussi, et de manière plus flagrante, les limites de Mein Zuhörer oder der Türkische Patient. Et en particulier son scénario. Certes excellent, le script se révèle en effet trop ambitieux pour Norbert Sluzalek et Nick-Robin Dietrich, malgré la démonstration d’un talent évident dans la comédie. Mais quels comédiens amateurs pourraient porter un film de presque deux heures entièrement sur leurs épaules ?
Entretien avec Erkan Luleci, réalisateur
Peux-tu nous expliquer comme est né le film ?
Au départ, je souhaitais mélanger deux idées. D’abord le tueur en série qui se rend chez un psychiatre. Puis la thématique de la réincarnation d’une personne qui pourrait être un personnage historique.
Lorsque j’en ai parlé aux deux acteurs principaux, ils étaient enthousiastes. J’ai produit un synopsis de cinq pages le soir même, puis une première version du scénario. C’était dingue. Ensuite, avant que j’aie pu retravailler le texte, mes deux acteurs avaient déjà appris leurs dialogues et m’ont demandé de ne plus rien changer. Ce que l’on voit à l’écran, c’est donc le premier jet du scénario. La version originale était prévue pour durer 2h10. Je l’ai ensuite réduite à 1h50 pour des raisons budgétaires. Au final, c’est un film d’art et d’essai avec beaucoup de dialogues.
Le cinéma allemand d’après-guerre se décline en trois parties. Jusqu’aux années 50, les films occultent la période nazie. Puis jusqu’aux années 80, le cinéma allemand se met à condamner la génération des parents. Enfin, de la chute du mur à aujourd’hui, une phase de « normalisation » se met en place.
Est-ce que tu considères Mein Zuhörer oder der Türkische Patient comme faisant partie de cette dernière catégorie ?
La thématique principalement abordée par le film est celle de la transmission des traumatismes et du sentiment de culpabilité.
Ce sentiment a finalement perduré jusqu’en 2006, au moment de la Coupe du monde en Allemagne. Pour la première fois, on osait sortir le drapeau national et exulter lorsque la Mannschaft marquait un but.
En ce qui concerne les périodes, je dirais que le film s’intègre dans une nouvelle phase suivant la « normalisation », comme tu l’appelles. La question est désormais de se demander quel pays n’a pas de sang sur les mains. En fin de compte, tous sont coupables, tous ont colonisé de force d’autres pays, etc. Pour nos aïeux, nous ne pouvons rien faire. Dès lors, le passé devrait nous servir à nous rendre compte à quel point les gens peuvent facilement se laisser emporter par leurs émotions. Par exemple, depuis la pandémie, l’Allemagne est divisée en deux camps. Des familles sont déchirées et la délation est un phénomène qui a émergé. Cet aspect est thématisé dans mon film : combien de Juifs à l’époque auraient pu survivre si les voisins n’étaient tout simplement pas intervenus avec des dénonciations ?
Tu présentes un personnage emblématique de la période nazie d’une manière ambiguë. C’est un tueur en série, mais il fait rire… Il se permet des réflexions sur notre époque comme le mouvement Woke et les activistes climatiques, par exemple. Un nazi amusant qui remet en question la façon dont on milite aujourd’hui ?
Cette période joue un rôle important dans ma vie parce que j’ai effectivement connu quelques détenus de camps de concentration et que je suis toujours effrayé par l’idée de ce que les gens ont été et sont capables de faire.
Bien sûr, je souhaite laisser une place à l’interprétation, je ne veux pas tout expliquer, surtout pas un personnage comme celui du film, qui argumente sur sa propre vie. Mais le fait est que c’est un personnage indiciblement mauvais, ce qu’il ne cesse de montrer et de revendiquer.
D’ailleurs, je ne pense pas que les personnes malveillantes soient dépourvues d’humour. Au contraire, j’imagine que les pires psychopathes ne ressemblaient pas de fait à des psychopathes…. Souvent, leurs voisins le confirment en disant des choses comme « Il a toujours salué gentiment, je n’aurais jamais pensé qu’il… »
Bien sûr, on rit dans le film, car ce sinistre individu dit aussi des choses qui ont peut-être du sens parfois. Tout l’enjeu est justement de faire attention à ne pas tomber dans le piège et de ne pas se laisser séduire par un meurtrier psychopathe…
Est-ce que tes films sont au moins disponibles avec des sous-titres anglais quelque part ?
J’ai tourné trois moyens métrages, dont les bandes-annonces sont disponibles ci-dessous :
Strauss im Kopf
vEmotion
Stumm
À chaque fois, il s’agit de films un peu fous, car indépendants. Mais j’ai pu bénéficier de très bons acteurs. Par exemple, Harry Baer qui joue dans vEmotion, était le compagnon de route de Rainer Werner Fassbinder et de Michael Ballhaus lors de leur période allemande.
D’autres liens pour des films réalisés par Erkan Lüleci et disponibles dans leur intégralité :
2015 – Chronos App (Science-Fiction, 99 secondes)
2015 – A.R.M. – Almost Rigor Mortis (Horreur, 5 minutes)
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Bande-annonce :