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A Pure Place – Dickens chez les Athéniens


Allemagne - 2021 - Nikias Chryssos
Interprètes : Sam Louwyck, Greta Bohacek, Claude Heinrich, Daniel Sträßer, Daniel Fripan, Wolfgang Ceczor...

A Pure Place est le second film de Nikias Chryssos. Le réalisateur s’était fait remarquer en 2015 avec l’étonnant Der Bunker. Là, un couple s’isolait en lieu clos pour éduquer l’enfant né de leur union… Jusqu’à ce que le marmot soit enfin à la hauteur des attentes de papa et de maman…. Sauf que « l’enfant » venait tout juste de fêter ses trente ans et n’avait toujours pas décroché son Abitur (le baccalauréat allemand)…

Entre Dario Argento pour les couleurs et David Lynch pour l’étrangeté des situations, Der Bunker connut une belle carrière en festival. Le film remporta même en nos contrées le prix du Jury et de la critique au regretté festival Mauvais Genre.

A Pure Place – Dickens chez les Athéniens

À nouveau, le dernier-né de Nikias Chryssos se déroule en vase clos. L’autorité est toujours détenue par un seul et unique homme. Mais, cette fois-ci, c’est toute une communauté d’adeptes qu’il maintient dans l’obéissance…

Dès lors, afin d’exercer impunément son emprise, le despote doit faire preuve d’un minimum d’imagination. En particulier, en échafaudant un système dont les critères et les règles soient suffisamment élaborés pour tenir tout un réseau de membres sous sa coupe. La structure familiale au cœur de Der Bunker fait ici place à celle, plus sophistiquée, de la secte. Le point commun des victimes : l’isolement…

Sur une île perdue en mer Égée, Fust règne en maître absolu sur une petite communauté qui vit en autarcie. Aidé par un soleil aveuglant, ainsi qu’une architecture évoquant l’Antiquité, le gourou sert à ses adeptes un folklore s’inspirant de la mythologie grecque, saupoudré d’emprunts à la légende de Siegfried. Le résultat est une idéologie opposant la saleté et la propreté. Cyniquement, l’activité principale de l’île consiste à fabriquer… Du savon, base de l’industrie locale.

A Pure Place – Dickens chez les Athéniens

Quoi qu’il en soit, ce manichéisme permet de diviser le peuple de l’île. D’un côté, on trouve les élus en costumes blancs. De l’autre, ceux qui attendent patiemment de s’élever de la saleté, se débattent dans la fange, revêtus de loques comme dans un roman de Charles Dickens.

Parmi eux, Irinia se voit autorisée à s’extirper de la boue. Mais pas son petit frère en revanche. Sentiment d’injustice… Irina commence à remettre en question les grands principes édictés. Le petit frère, de son côté, esquisse la révolte en revendiquant son statut de boueux. Ainsi, lorsque les pouilleux se complaisent dans la boue et rejettent ce qui leur est refusé, c’est tout le monde qui va à la catastrophe.

Cette possibilité offerte de changer de classe, autrement dit de s’élever dans la société de l’île, représente l’un des éléments les plus intéressants de A Pure Place. Parce que, une fois intégré aux favorisés, on se retrouve, ni plus ni moins, que faisant partie d’illuminés croyant naïvement aux miracles créés par Fust. Des exploits qui versent clairement dans le fantastique. Que le film dévoile même à l’écran, afin d’inclure le spectateur dans le délire et le faire douter. Du stratagème résulte un effet de style qui sert parfaitement le message. En résumé : dans la caste supérieure, pour conserver son statut de privilégié, on préfère croire aux mensonges prodigués par le guide.

A Pure Place – Dickens chez les Athéniens

Au final, Fust ne fait qu’exploiter une division basée sur une idéologie de son invention. Il ne s’agit que d’une simple manœuvre pour diviser et bénéficier de quelques avantages. Plus le subterfuge est crédible, plus les profits à en tirer seront gros. Par exemple, la combine simpliste imaginée par Fust ne peut qu’illusionner une poignée de fidèles.

Ce n’est pas comme celle d’un capitalisme repeint en vert et capable de sauver la planète qui se montre bien plus complexe pour réussir à emmener dans son sillage des milliards d’individus. On pourra regretter que A Pure Place ne cherche pas à être aussi subversif. Reste, au final, une diatribe, finalement assez convenue, consistant à juxtaposer des éléments biens connus… Pureté, propreté, et symétrie pour le fascisme, saleté et désordre pour l’anarchie.

Par ailleurs, A Pure Place s’efforce d’être rationnel, peut-être un peu trop, cherchant la crédibilité en refusant les effets faciles. En conséquence, le film souffre également d’un rythme lent, mais aussi de situations peu spectaculaires. Nul doute dès lors, que le film soit vulnérable aux critiques qui le trouveront ennuyeux. Sur ce point, et malgré une durée somme toute assez faible, le film ne peut s’empêcher d’être effectivement bavard.

Il serait néanmoins dommage de s’arrêter sur ces misérables points, sachant tout ce que le film à offrir…

A Pure Place – Dickens chez les Athéniens

À commencer par une interprétation fascinante de Sam Louwyck. Stakhanoviste des petits rôles, l’acteur se montre toujours partant pour participer à des films réservés à des publics avertis. Et pas des moindres ! En effet, le comédien a participé aux très sombres Ex Drummer (2007) et Bullhead (2011).

Ensuite, A Pure Place propose une présentation simple et presque didactique des systèmes basés sur la soumission, tout en faisant preuve d’innovation. Dans sa narration par exemple… Ainsi, plutôt que de montrer comment les opprimés prennent conscience de leur classe sociale et se rebellent, le développement s’intéresse plutôt aux conditions qui vont causer l’effondrement de la société hiérarchisée.

Dans ce cadre, A Pure Place démontre que personne n’est véritablement responsable. Finalement, Fust ne fait que profiter du pouvoir qui lui a été conféré. Les rebelles, quant à eux, ne sont pas mieux traités dans le film, et la dernière séquence brise même l’image romantique du révolutionnaire. En effet, loin d’être naïf, A Pure Place se termine sur une note drôle et cynique dans laquelle la pureté de l’île fait place à un strip-tease vulgaire produit sur la scène d’une boîte de nuit tout aussi graveleuse. Un symbole de notre société décadente, mais aussi le nouveau paradigme des révolutionnaires en culottes courtes de A Pure Place.

Informations complémentaires :

Dans A Pure Place, on retrouve, en tête d’affiche, la jolie Greta Bohacek qui avait su décrocher un petit rôle dans Suspiria (2018).

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Bande-annonce :

Article signé André Quintaine
D'origine allemande et passionné de cinéma de genre,
je vous propose de découvrir différentes facettes méconnues
du cinéma allemand sur ThrillerAllee. D'autres blogs où je suis actif :
L'Écran Méchant Loup pour les loups-garous au cinéma
Sueurs Froides pour les films de genre et d'auteur subversifs.
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