La Tendresse des loups – Angoissants quotidiens

En 1971, Ulli Lommel, qui avait débuté en tant qu’acteur, signe son premier film derrière la caméra, Haytabo avec Eddie Constantine. Deux années plus tard, après avoir tenu un second rôle pour Fernando di Leo dans Passeport pour deux tueurs (1972) et tenu le haut de l’affiche à l’occasion de Harlis (1972) signé Robert van Ackeren, il revient à la réalisation et signe le meilleur film de sa carrière, mais aussi l’un des plus importants du cinéma d’auteur allemand des années 70, La Tendresse des loups, inspiré par l’histoire du criminel Fritz Haarmann…

Au début du film, lorsque la police fait irruption dans la chambre de Fritz, elle le trouve au lit en compagnie d’un jeune homme. Inculpé pour détournement de mineur, le contrevenant se voit finalement relâché sous condition d’accepter de devenir l’indic de la police.

Pour les flics, Fritz est un vulgaire malfrat, vivant de petites escroqueries. Par exemple, il vole des vêtements en train de sécher dans un jardin pour les revendre ensuite. Minable, il montre aussi certaines faiblesses, comme celle qui le rend dépendant d’un comparse tout aussi pitoyable que lui, allant même jusqu’à le dépouiller lui-même de son argent. Quoi qu’il en soit, la police ne s’intéresse visiblement pas au fait que Fritz est aussi un psychopathe, montrant un goût prononcé pour les jeunes adolescents fugueurs, qu’il va d’autant plus facilement ramasser sur le quai de la gare qu’il travaille désormais pour la police…

Une fois dans son antre, les jeunes garçons sont étranglés jusqu’à la mort. Des cadavres, Fritz extrait ensuite le sang dont il se délecte à même la jugulaire. Enfin, après avoir violé ses victimes sans vie, Fritz dépèce la viande pour faire le bonheur des voisins…

Ce qui surprend à la vision de La Tendresse des loups, c’est l’intégration, dans son quartier, de ce dangereux psychopathe pédophile. Avec son visage d’ange et ses yeux bleus, Haarmann n’a certes rien d’un sociopathe. Toutefois, ses penchants pour les jeunes garçons s’avèrent bien connus. Or, personne, ou presque, n’y voit quoi que ce soit à redire. La cordialité et la politesse du bonhomme lui suffisent pour mettre dans sa poche les riverains et la police.

Seule une voisine, qui s’étonne de ne jamais voir ressortir les jeunes gens que Fritz emmène chez lui, sonnera l’alerte et insistera suffisamment lourdement pour que les protecteurs de la veuve et de l’orphelin se décident enfin à prendre Fritz en flagrant délit de tentative de meurtre.

Le véritable Fritz Haarmann a sévi autour de la gare d’Hanovre entre 1923 et 1924 avant d’être exécuté en 1925. Pour les besoins du film La Tendresse des loups, le déséquilibré œuvre désormais durant la Seconde Guerre mondiale. Ses voisins indifférents symbolisent ainsi la génération qui a laissé commettre l’inaceptable. Quant à l’exécution du psychopathe, elle désigne du doigt cette Allemagne qui choisit de se débarrasser d’un passé gênant plutôt que d’essayer de comprendre une époque immorale.

Ainsi, le film appartient à ce mouvement éclos dans les années 70, critique envers cette génération qui avait laissé prospérer les nazis. Condamnation que l’on retrouvera dans les films de Rainer Werner Fassbinder et dont Ulli Lommel était un proche. On ne sera donc pas surpris de trouver dans La Tendresse des loups des piques, tels que le saucisson à base de chair humaine offert par le boucher pédophile à l’inspecteur de police, ou la présence de la chanson In der Bar zum Krokodil chantée, à l’origine, par l’ensemble Comedian Harmonists harcelé par la propagande nazie parce que trois de ses membres étaient d’origine juive.

Les décors d’une Allemagne désolée, sublimés par la photographie froide de Jürgen Jürges responsable, bien plus tard de celle de Funny Games (1997) et du Temps du loup (2003), confortent ce malaise. Tout comme la prestation de Kurt Raab, auteur du scénario, et qui incarne magistralement le personnage de Fritz Haarmann en évoquant clairement Peter Lorre dans M le maudit (1931).

La qualité de la mise en scène de Ulli Lommel, quant à elle, alterne audace, délicatesse et cruauté. Pas besoin d’exposer la monstruosité pour mettre mal à l’aise comme lors de ce passage au milieu du film durant lequel un gamin d’une dizaine d’années se moque de Haarmann. Ce faisant, il entonne une comptine dont les paroles exposent clairement les préférences du bonhomme pour les jeunes garçons et le fait qu’il paie pour ça.

C’est avec la même pudeur qu’on devine plus qu’on ne voit les atrocités commises… Ainsi, avec la voisine du dessous, nous sommes témoins des bruits de pas, des coups et, finalement, du son d’un liquide coulant abondamment. Lommel laisse fonctionner l’imagination comme lorsqu’un banal bonnet appartenant à un gamin se voit offert par le psychopathe à un autre puisque son précédent propriétaire n’en a plus besoin.

Autrement dit, La Tendresse des loups, c’est l’indicible dans la banalité du quotidien.