Jonathan sur les traces de Nosferatu
Jonathan de Hans W. Geissendörfer est bien accueilli par les critiques à l’époque de sa sortie, ce qui s’explique aisément par son appartenance au cinéma d’auteur. En effet, Jonathan n’est pas un film de genre ; il s’agit plutôt d’une parabole politique dans laquelle les suceurs de sang exploiteurs symbolisent les oppresseurs décadents.
Un jeune homme se rend au château de Dracula pour préparer l’assaut final qui doit mettre fin au règne du monstre sanguinaire. Sa destination l’amène à traverser une région misérable où la population rurale est exploitée et réduite à l’état de « réserve de nourriture » par une poignée de vampires. Jonathan, jeune étudiant, incarne pour sa part, une jeunesse rebelle qui ne veut plus se soumettre et qui demande justice.
L’œuvre a été tournée en 1969, à l’époque où toute une génération contestait le système des années 60 et réclamait des comptes à leurs parents : « Que faisiez-vous de 33 à 45 ? » Cette situation se traduisit par une scission de la population car les anciens voyaient d’un mauvais œil ces énergumènes, “clochards” et autres “hippies”, leur donner des leçons.
En se contentant d’adapter du roman de Bram Stoker le voyage qui mène Jonathan Harker au château du conte, le film met en image le contexte politique de l’Allemagne à l’époque. Ainsi, faire appel à l’aristocratique Dracula suçant sans vergogne le fluide vital des paysans besognant autour de son château est parfaitement pertinent.
Des séquences peuvent paraître obscures si l’on ne connaît pas le contexte politique. Ainsi, la scène durant laquelle un couple de jeunes font l’amour devant des personnes âgées peut laisser sceptique si l’on ne pressent pas que l’auteur montre du doigt que les opprimés exploitent eux-mêmes une autre catégorie d’individus. Ainsi, le film est toujours tristement actuel et peut parfaitement être introduit à notre époque où l’on continue inlassablement d’exploiter les hommes, les animaux et la nature. On regrette seulement que la moralité du réalisateur s’arrête aux êtres humains puisqu’un animal est brutalement, gratuitement et sadiquement mis à mort par l’un des protagonistes ; défendre les opprimés en violant la défense d’autres opprimés est franchement stupide.
Jonathan propose également de magnifiques images. Ainsi, après un magnifique plan séquence qui plonge immédiatement le spectateur dans le contexte en début de métrage, le directeur de la photographie Robert Müller suit les longues chevauchées de Jonathan à travers une campagne désolée et peint des tableaux esthétiques et funestes où s’entassent les cadavres dans des villages sordides et une campagne non moins désespérée. Quelques séquences gore grand-guignolesques accentuent ce climat obscure.
En Allemagne, le film Jonathan est surtout connu parce qu’il s’agit du premier film de Hans W. Geissendörfer qui, en 1985, produit la série grand public Lindenstraße, aujourd’hui encore diffusée Outre-Rhin. Mais à l’époque, Jonathan s’inscrit parfaitement dans l’écrin du cinéma d’auteur de la fin des années 60 et du début des années 70. Comme les tableaux dépeints fascinent visuellement, intriguent et interpellent sociologiquement, il en résulte un film qui n’a pas vieilli, d’autant plus que son message est tout aussi pertinent hier qu’aujourd’hui. Dès lors, on peut estimer qu’il fait parfaitement honneur au classique Nosferatu de Murnau.
Jonathan
Allemagne – 1970
Réalisation : Hans W. Geissendörfer
Interprètes : Jürgen Jung, Hans-Dieter Jendreyko, Paul Albert Krumm, Hertha von Walther, Oskar von Schab, Ilona Grübel, Sofie Strehlow, Gaby Herbst…