La Ville dorée (1942) – Pas de pitié pour qui trahit sa patrie
Qui trahit la patrie doit en payer le prix ! Le réalisateur Veit Harlan, qui connaît son heure de gloire durant la période nazie, l’a bien compris. En conséquence, il réserve à Anna, l’héroïne de La Ville dorée, un sort à la hauteur de son crime. Cependant, le châtiment choisi à l’époque ne satisfait pas Joseph Goebbels. Le ministre de l’Éducation et de la propagande du Troisième Reich ordonne alors de tourner une fin encore plus sinistre, véritablement digne de l’affront commis par la jolie Anna.
« Sie hat im Dunklen den Weg verfehlt und ist in den Sumpf geraten » (Dans l’obscurité, elle s’est trompée de chemin et a fini dans le marais)
Anna est une jeune paysanne qui vit avec son père, propriétaire d’un beau domaine au bord de la Vltava. Si vous suivez la rivière, vous atteindrez Prague, l’étincelante. Anna rêve de cette ville magique, de la majestueuse cathédrale Saint-Guy, de ses tours dorées… Mais son père lui interdit de quitter le village. Pourquoi ? Parce qu’autrefois la mère d’Anna s’est noyée dans le marais en partageant le même rêve. Manipulée et influencée par une employée de maison d’origine tchèque, qui a des vues sur l’héritage du père, Anna désobéit et décide de se rendre malgré tout à la ville aux 100 clochers. Là, elle ne connaît finalement que désenchantements et même le déshonneur absolu après avoir été séduite et mise enceinte par son cousin…
La Ville dorée est le deuxième film allemand tourné en couleur. Un mélodrame qui est aussi l’un des plus grands succès public de la période nazie avec près de 31 millions d’entrées. Le film de Veit Harlan bénéficie aussi de critiques positives et remporte plusieurs prix en festivals. Cela ne l’a pas empêché d’être interdit par les Alliés à la sortie de la guerre…
« Wo man daheim ist, da ist es am schönsten, und da soll man bleiben » (Son chez soi, c’est le plus beau et c’est là qu’on doit rester).
Non seulement Anna désobéit à son père et au fiancé qu’il lui a légitimement choisi mais, en plus, elle se dévoie avec de mauvaises fréquentations dans la ville qui brille de mille feux.
À travers son personnage, le film entreprend de promouvoir l’idéologie Blut und Boden. Une doctrine qui considère que chaque ethnie doit être associée à un territoire ou une zone géographique déterminée. Littéralement ou presque : le sang est lié au sol.
Quoi qu’il en soit, la réaction de Joseph Goebbels qui impose une fin cruelle n’est pas réellement surprenante. En effet, de base, le cinéma est moral et sacrifier les personnages qui sortent des sentiers battus ne le dérange pas vraiment.
« Wer nie fort geht , kommt nie heim » (Qui ne voyage jamais, ne rentre jamais chez lui)
En revanche, il est intéressant de noter que Veit Harlan avait choisi de réserver un sort plus clément à Anna. D’ailleurs, si l’attitude de la jeune fille est condamnée par Goebbels, elle est a contrario dépeinte de manière tout à fait attachante par le réalisateur. La sollicitude dont bénéficie Anna est en effet bien supérieure à celle dont hérite le père, pourtant détenteur de la seule et unique conduite à tenir selon le régime tyrannique.
Ainsi, au-delà du mélodrame captivant et du film de propagande, La Ville dorée est aussi une démonstration des ambiguïtés du message qu’un réalisateur tente de transmettre dans un film de commande.
Par contre, il n’y a pas d’ambiguïté sur la représentation des étrangers. Le racisme anti slave est en effet très clair. Ainsi, les Tchèques sont dépeints comme un ramassis de gens peu scrupuleux… Dans ce domaine, La Ville dorée n’est malheureusement pas le seul film utilisé par Veit Harlan pour propager ses tristes opinions.
Idéologiquement imprégné mais doté de qualités artistiques
Mais bon, il faut séparer l’artiste de l’homme comme ils disent… Et La Ville dorée est aussi un mélodrame qui tire brillamment profit de l’Agfacolor. La musique grandiose souligne même admirablement la tragédie.
Avec fébrilité, on vibre pour la belle et innocente Kristina Söderbaum qui donne littéralement corps à la touchante et pétillante Anna. Chouchou du public de l’époque, elle est, pour le régime, l’archétype même de la femme aryenne.
Elle connut d’ailleurs la gloire dans les films de propagande nazie sous la direction de Veit Harlan, son époux.
Méprisable Don Juan, Kurt Meisel est tout simplement excellent. Le public de l’époque devait le détester.
Eugen Klöpfer, inscrit par Adolf Hitler en 1944 sur la liste des artistes les plus importants du pays, incarne quant à lui un père aimant mais intransigeant et effrayant…
Bande-annonce
Die Goldene Stadt – 1942 – réalisation : Veit Harlan ; interprètes : Kristina Söderbaum, Paul Klinger, Eugen Klöpfer, Annie Rosar, Rudolf Prack, Dagny Servaes, Kurt Meisel, Hans Hermann Schaufuß, Else Ehser…