Le Trésor du lac d’argent – la création du mythe Winnetou
Réalisé par Harald Reinl en 1962, Le Trésor du lac d’argent a été un tel succès en salle lors de sa sortie en Allemagne que les producteurs ont saisi l’occasion pour initier une franchise entièrement consacrée au personnage de Winnetou inventé par Kar May.
Aux origines un aventurier…
Karl May, c’est l’un des romanciers allemands les plus productifs de son pays. Spécialiste du roman d’aventures, il s’inspire des récits relatant ses voyages en Extrême-Orient ou dans les Amériques et signe à la fin du 19e siècle un feuilleton plus tard publié sous la forme d’un roman : Le Trésor du lac d’argent.
L’histoire du livre a pour personnages principaux Old Shatterhand et Winnetou. Le premier est l’archétype du héros infaillible, tandis que son frère de sang mystique et mystérieux, chef des Apaches Mescaleros, incarne quant à lui la noblesse personnifiée par sa foi en la justice et la paix…
Une escouade de bandits menée par le colonel Brinkley attaque une diligence et tue son occupant, Erik Engel. Ils en profitent pour dérober à leur victime le morceau d’une carte indiquant le chemin vers le légendaire trésor du lac d’argent. L’autre moitié de la carte est en possession de Patterson, dont la ferme est la prochaine cible des truands. Le fils d’Engel s’associe avec Winnetou et Old Shatterhand pour empêcher que la carte ne tombe entre les mains de Brinkley.
Et un monument du cinéma allemand…
À l’origine de l’adaptation cinématographique du héros de Karl May se trouve un monument du cinéma allemand : Horst Wendlandt. Producteur talentueux, Wendlandt a traversé toute l’histoire du cinéma outre-Rhin au 20e siècle. Il a initié des succès financiers avec des comédies et ce, même à la fin de sa vie, qui n’auront cependant jamais vu le jour en France. La raison ? Un choix de sujets bien trop locaux. En revanche, ses nombreux Edgar Wallace, ainsi que les films de la saga Winnetou, sont eux bien connus en France.
Au début des années 60, Horst Wendlandt s’attelle donc à la mise en chantier de l’adaptation du roman de Karl May pour le bénéfice de la Rialto. Il commence par initier une collaboration avec Jadran Film, société de production yougoslave… C’est ainsi que, afin de donner l’illusion d’un dépaysement aux Amériques, l’Allemagne opte pour la Yougoslavie, là où, l’Italie a préféré les paysages espagnols quelques années plus tard. Il faut dire que les lacs de Plitvice ainsi que les montagnes et les cascades des Alpes dinariques croates ne sembleront pas totalement inconnus aux aficionados. En effet, par le passé, l’ancien pays slave avait déjà accueilli les péplums italiens.
Pour exploiter au mieux toutes ces ressources, la production réunit un budget conséquent de 3,5 millions de Deutsche Mark. À la tête de cette fortune, Harald Reinl est préféré à Alfred Vohrer, en raison de son expérience acquise à l’occasion de ses films de montagnes réalisés avant la période Edgar Wallace. Aujourd’hui encore, Harald Reinl reste méconnu du public international. Pourtant, il est l’un des plus importants réalisateurs allemands. D’ailleurs, les films de la franchise Winnetou lui permettront de toucher plus de 32 millions de spectateurs…
Une équipe en or devant et derrière la caméra
En outre, Harald Reinl intègre le projet accompagné de son épouse Karin Dor, icône du cinéma allemand et future James Bond Girl. En 1967, elle donne la réplique à Sean Connery dans On ne vit que deux fois, puis est donnée en pâture aux piranhas.
Le casting est d’ailleurs savoureux… Outre Eddie Arent, habitué des Edgar Wallace auxquels il apporte toujours une petite note de légèreté, on trouve aussi Herbert Lom. Méchant de l’histoire, l’acteur est familier des seconds rôles glorieux, dont il a hérité au cours de films comme Spartacus de Stanley Kubrick. Ou encore L’Île mystérieuse à l’occasion duquel il n’est nul autre que le capitaine Nemo. Herbert Lom sert également le cinéma d’épouvante en incarnant notamment Le Fantôme de l’Opéra dans le film homonyme de Terence Fisher. Par sa présence, le Britannique assure une renommée internationale à l’ensemble.
Les deux principales stars de Le Trésor du lac d’argent restent cependant Lex Barker et Pierre Brice.
Lex Barker, alias Old Shatterhand, est alors en perte de renommée. L’acteur américain exilé en Europe a connu son heure de gloire au pays de l’Oncle Sam en succédant à Johnny Weissmuller pour incarner Tarzan dans les années 50.
Son frère de sang Winnetou est quant à lui joué par Pierre Brice, acteur français peu connu, souffrant dans l’Hexagone de sa ressemblance avec Alain Delon. Pour les spectateurs allemands, il devient Winnetou et l’une des personnalités médiatiques les plus connues en Allemagne, encore aujourd’hui.
Lex Barker, Pierre Brice… Götz George.
Quoi qu’il en soit, Winnetou et Old Shatterhand ne sont pas les principaux héros de ce Trésor du lac d’argent. Les deux comparses ressemblent même à des seconds rôles, se contentant de faire acte de présence à chaque fois que l’action surgit. Et de l’action, il y en a à foison avec des attaques d’Indiens, des coups de feu, des combats au couteau, des figurants par centaines, une intrigue riche en rebondissements, ou encore l’impressionnante attaque d’un fort avec des dizaines de cavaliers.
En réalité, le véritable héros de cette histoire, c’est Fred Engel, incarné par Götz George. Cette autre future grande star allemande est plus connue pour son personnage de Schimanski dans la série Tatort. Dans Le Trésor du lac d’argent, il est le seul à connaître le chemin qui mène au trésor. Son besoin de vengeance alimente le moteur du film ; il doit venger son père assassiné par Brinkley, alias Herbert Lom. Accessoirement, c’est lui qui fera tomber dans ses bras la belle Karin Dor.
Les décors fastueux et la somptueuse musique du compositeur Martin Böttcher assurent au film une évidente solidité qui lui permet de tenir la comparaison avec ses homologues américains dans le genre Western.
Seule ombre au tableau peut-être, le manichéisme de l’ensemble. Mais c’est aussi le charme des films d’un certain âge… À l’époque, cette simplicité alliée à des personnages charismatiques, ainsi qu’au dépaysement, assurèrent au film le titre de plus grand succès cinéma de 1963.
Allemagne, France, Yougoslavie - Harald Reinl
Titres alternatifs : Der Schatz im Silbersee
Interprètes : Lex Barker, Herbert Lom, Götz George, Karin Dor, Marianne Hoppe, Eddi Arent...