L’Énigme du serpent noir (1963) – Réjouissant déjà-vu
Si l’on comparait les adaptations d’Edgar Wallace avec le matériau d’origine, on se rendrait probablement compte que ce qui fait le charme du genre initié outre-Rhin à la fin des années 50, c’est qu’il s’intéresse plus aux jeux de dupe auxquels se prêtent les personnages récurrents et bien connus du public plutôt qu’aux mystères imaginés par le célèbre écrivain. Adapté du roman The Squeaker publié en 1927 et écrit par le célèbre écrivain britannique, L’Énigme du serpent noir ne fait pas exception à la règle…
Une fois n’est pas coutume, la pègre londonienne tremble dans ses baskets. Les malfrats sont effectivement terrorisés par l’un des leurs. Le criminel insaisissable se fait appeler le Zinker, soit le « traître » en français. À l’aide d’un poison extrait du venin d’un mamba noir, l’ennemi public numéro 1 des truands a pris la mauvaise habitude d’éliminer ses concurrents les uns après les autres. L’enquête conduit logiquement l’inspecteur Elford à l’animalerie dans laquelle figure un spécimen du reptile dispensant l’arme du crime. Par ailleurs, parmi les salariés, on trouve des repris de justice sciemment embauchés par la riche veuve Mulford.
La vieille dame s’efforce-t-elle réellement, comme elle le prétend, de remettre ces hommes égarés dans le droit chemin ? Quant à son futur gendre, directeur général de l’animalerie, est-il vraiment au-dessus de tout soupçon ? D’autres suspects vont s’ajouter à la longue liste de l’inspecteur Elford, dont la nièce de Mme Mulford, auteur de romans policiers, mais aussi le gardien psychopathe de l’animalerie incarné par Klaus Kinski, lui-même…
Klaus Kinski n’est pas très présent dans le film. Il se fait néanmoins remarquer dès les premières minutes du métrage. Au début du film, son personnage ne se contente pas seulement d’exprimer ses bas instincts criminels. L’homme de main du Zinker, c’est lui. Et à ce titre, il tient la ménagerie… Il s’occupe des alligators, nourrit les lions, caresse les chameaux, joue à saute-mouton avec les tortues géantes. Kinski n’a même pas besoin de doublure pour extraire le venin des crocs du serpent… L’acteur n’avait décidément pas froid aux yeux ; il impose sa présence, même sans prononcer la moindre parole.
Heinz Drache, pour sa part, joue son personnage habituel d’enquêteur plein d’assurance, au point d’en devenir désagréable. Son énergie reste néanmoins appréciable et porte le film. Tout comme la présence de la jolie Barbara Rütting. En 1961, l’actrice était aux côtés de Kirk Douglas dans Ville sans pitié. Plus tard, bien après L’Énigme du serpent noir et une riche carrière au cinéma, la vedette se rangera en s’engageant politiquement avec les Verts allemands.
Tous ces personnages au comportement plus ou moins douteux forment un patchwork intéressant. Chacun dispose de sa petite histoire, soit étrange, soit étonnante. Ainsi il se passe tout le temps quelque chose dans L’Énigme du serpent noir qui brille quand il s’agit de divertir…
À ce sujet, l’humour de répétition est assuré par Eddi Arent. L’habitué incarne un journaliste spécialiste des histoires à l’eau de rose qui fait tout son possible pour se faire engager par le journal concurrent du racoleur Guardian. L’acteur s’essaye aux clowneries comme lorsqu’il est surpris en train de jouer au ping pong, sans table, sans raquette et sans balle.
La fameuse grand-mère fantasque constitue néanmoins, à elle seule, la principale attraction du film.
La vieille dame joue au chef d’orchestre dans son salon en faisant tourner un disque sur la platine. Elle prend un malin plaisir à ajouter du rhum ou du whisky dans son thé. Elle adore les histoires de crimes, ce qui lui permet de commenter avec un humour noir les crimes perpétrés autour de son animalerie.
Il est difficile de prendre au sérieux cette veuve tant elle déborde d’extravagance. Le personnage est en réalité très intéressant, doté d’une moralité ambiguë. Ainsi, ce n’est pas forcément par altruisme qu’elle prend sous son aile ces détenus qui sortent de prison…
Quelques années plus tard, Agnes Windeck reprendra ce rôle de vieille dame aimable et agaçante dans la série Die Unverbesserlichen. Le rôle lui permettra de devenir extrêmement populaire outre-Rhin.
Même si l’humour se veut bon enfant et familial, le réalisateur Alfred Vohrer sait surprendre, comme lorsqu’on voit une carotte se faire croquer… depuis l’intérieur de la bouche de Siegfried Schürenberg, acteur récurrent du genre.
Cet effet presque effronté, n’est pas seulement un clin d’oeil à l’adaptation de 1931 qui disposait déjà de quelques gadgets du même acabit. Il assoit d’abord le ton très second degré de l’ensemble et accompagne parfaitement ces rictus et autres grimaces que les différents personnages ne peuvent s’empêcher de produire dès qu’ils sont la cible d’une remarque cassante, les promulguant tout en haut de la liste des suspects.
Certes, Alfred Vohrer use des mêmes et sempiternels recours du genre bien connus du public. Le réalisateur n’est cependant pas un spécialiste des Edgar Wallace pour rien. Ainsi, il livre son histoire de gangster en faisant preuve d’imagination. D’ailleurs, le premier Edgar Wallace au format cinémascope utilise adéquatement le procédé. En outre, même s’il s’agit d’une histoire de criminels, quelques séquences de nuits brumeuses agrémentent la jolie photographie en noir et blanc. D’autre part, la majeure partie du film se déroule dans les salons bourgeois prêtés par Horst Wendlandt. Ceux-ci assurent une évidente élégance au film. Le producteur qui était alors à la tête de la Rialto, initiatrice de la série des Edgar Wallace, deviendra, pour sa part, l’un des plus importants du cinéma allemand.
Allemagne - 1963 - Alfred Vohrer
Titres alternatifs : Der Zinker
Interprètes : Heinz Drache, Barbara Rütting, Günter Pfitzmann, Jan Hendriks, Inge Langen, Agnes Windeck