Mabuse attaque Scotland Yard – erreur sur la personne
Dans les films de Fritz Lang, le Dr Mabuse symbolise le mal absolu, la corruption et la manipulation. Il est généralement représenté comme un être intelligent, machiavélique et sans scrupules. Pourtant, dans Mabuse attaque Scotland Yard, celui qui incarne le côté sombre et diabolique de l’humanité n’est finalement qu’un vulgaire pantin et ne représente nullement l’attraction principale du film… Pourquoi ? Tout simplement parce que le film de Paul May est d’abord un Edgar Wallace Krimi…
Celui qui sème le chaos
Génie du Mal dont l’objectif est de régner sur le monde, le docteur Mabuse apparaît au cinéma en 1922 sous la direction de Fritz Lang. Le personnage refait surface en 1933, à l’occasion du Testament du docteur Mabuse (1933), toujours réalisé par Fritz Lang. Le réalisateur revient à son personnage fétiche en 1960 avec Le Diabolique docteur Mabuse. Suivront Le Retour du Dr. Mabuse (1961), L’Invisible docteur Mabuse (1962) et Échec à la brigade criminelle (1962), réalisés par Harald Reinl pour les deux premiers et Werner Klingler en ce qui concerne le chapitre final.
Ici, dans Mabuse attaque Scotland Yard, Mabuse est déjà mort. Wolfgang Preiss, qui a joué le personnage dans tous les films des années 1960, n’apparaît d’ailleurs qu’à l’occasion d’inserts.
Le génie du Mal contrôle désormais l’esprit du directeur de la clinique privée où il est décédé lors du troisième opus des années 60. Son objectif demeure l’asservissement, du Royaume-Uni cette fois-ci, en utilisant une machine dérobée au professeur Laurentz. Cachée dans un appareil photo, l’invention permet à Mabuse d’hypnotiser et de contrôler des criminels dont il a modifié le visage à l’aide de précieux chirurgiens esthétiques. Scotland Yard et l’inspecteur Vulpius contactent l’Ecossais Bill Tern pour contrecarrer ces sombres desseins, avec l’appui bienheureux de la grand-mère excentrique de ce dernier.
Ceci n’est pas un Mabuse
Mabuse attaque Scotland Yard est d’autant moins un Mabuse qu’il adapte le roman La Panique (The Device, 1962) écrit par Bryan Edgar Wallace, fils de Edgar Wallace, auteur à l’origine de la série des Krimis allemands des années 50 et 60.
Le résultat de ce mélange est une œuvre empruntant aux deux séries…
Pour ce qui est des Mabuse, le film s’approprie le Génie du Mal et des éléments typiques de la science-fiction de l’époque comme la machine à hypnotiser et les chirurgiens esthétiques. À l’inverse, la galerie de personnages sympathiques et récurrents est un élément distinctif des Edgar Wallace.
À l’image de la grand-mère excentrique. Un rôle dans lequel excelle Agnes Windeck, lui permettant de manier la dérision et le cynisme, ne serait-ce qu’en parlant d’elle à la troisième personne ou en faisant preuve d’humour noir. Ses succulentes répliques génèrent une bonne dose de dérision salvatrice pour un film aussi âgé, lui permettant de conserver une surprenante vigueur.
En terrain connu
Peter van Eyck, acteur américain d’origine allemande, est bien connu des spectateurs français qui se rappellent sûrement sa participation au Salaire de la peur (1953) de Henri-Georges Clouzot où, avec Yves Montand et au péril de sa vie, il conduit un camion transportant des explosifs. Dans les années 60, il s’illustrera dans les Mabuse, justement, en étant également de la fête dans Le Diabolique docteur Mabuse (1960) et Le Retour du Dr. Mabuse (1961).
Sabine Bethmann est, pour sa part, la belle en détresse que Peter van Eyck doit prendre sous son aile. Son personnage, remarquablement inepte, brille surtout par sa beauté. L’actrice connut néanmoins une petite carrière, dont le seul véritable fait de gloire est d’avoir failli être en haut de l’affiche du Spartacus (1960) de Stanley Kubrick.
Quoi qu’il en soit, le casting se révèle composé de visages connus qu’il s’avère toujours agréables de retrouver, comme dans tout bon Edgar Wallace Krimi qui se respecte…
Ainsi, fidèle au genre, Walter Rilla incarne le successeur de Mabuse, tandis que Dieter Borsche joue un repris de justice. Ce dernier avait tourné pour les studios est-allemands de la DEFA à l’occasion de L’Histoire du petit Muck (1953) avant de quitter la RDA en 1954. C’est à partir de ce moment-là qu’il participe à des succès internationaux où il joue les méchants, comme dans Les SS frappent la nuit (1957) de Robert Siodmak. Dans les années 60, il incarne enfin des rôles positifs en participant à quatre Mabuse et d’innombrables Edgar Wallace. Il décède d’ailleurs en 1971 en faisant la promotion de La Morte de la Tamise.
Enfin, on retrouve Klaus Kinski en personnage ambigu… Bien qu’inspecteur, et donc du côté des honnêtes citoyens, son faciès antipathique et son humour noir déplacé font de lui un personnage à double tranchant. Ses efforts pour essayer de faire passer un meurtre en suicide n’arrangent rien à son cas et on s’attend constamment à ce qu’il trahisse la cause. C’est donc sans surprise qu’il sera victime de la machine hypnotisante.
Un succès malgré tout
Lorsqu’il met en scène Mabuse attaque Scotland Yard, Paul May a déjà connu le succès grâce à la comédie antimilitariste 08/15 (1954), deux classiques du Heimat Filme : Und ewig singen die Wälder (Duel with Death, 1959) et Via Mala (1961), ainsi qu’un feuilleton pour la télévision allemande Die Schlüssel (1965).
Pour Mabuse attaque Scotland Yard, Paul May tente quelques incursions dans le macabre, comme lors d’une sinistre exécution par pendaison qui se termine de manière surprenante.
Mais ce nouveau succès public exploite principalement une histoire naïve et peu sérieuse.
L’issue du scénario ne fait d’ailleurs aucun doute. Même l’identité des méchants, camouflée par la chirurgie esthétique, n’est pas utilisée comme source d’éventuels quiproquos. Aucun mystère ne figure dans le film, au point que le personnage de Mabuse, simple marionnette, s’avère totalement mis en retrait.
Au final, Mabuse attaque Scotland Yard vaut surtout pour sa dynamique qui fonctionne grâce à ses acteurs prestigieux, un scénario pétri de rebondissements et des dialogues bien sentis, dans la veine des meilleurs Edgar Wallace.
Allemagne - 1963 - Paul May
Titres alternatifs : Scotland Yard jagt Dr. Mabuse
Interprètes : Peter van Eyck, Sabine Bethmann, Dieter Borsche, Werner Peters, Klaus Kinski, Wolfgang Preiss, Agnes Windeck...