Oublier un temps la guerre grâce à ce diable de garçon
À la suite d’un pari, Pfeillfer, romancier quadragénaire, rase sa moustache, coiffe ses cheveux à la mode et se déguise avec des vêtements plus décontractés pour se rajeunir afin de retourner sur les bancs de l’école et faire des farces à ses professeurs.
Ce diable de garçon (1944) fait ainsi écho au désir de tout un peuple de revenir à une époque bénie où tout était plus simple. En effet, en redevant un écolier idiot et sans souci, Pfeiller, ne cherche pas le chaos, mais plutôt la paix et l’harmonie. Ainsi, les farces qu’il inflige à ses paires sont inoffensives : une chaussure cachée, un petit mot collé sur le dos d’un enseignant… Lorsqu’il va malgré tout un peu trop loin, excuses et réconciliations suivent dans la foulée.
Les professeurs, quant à eux, restent sympathiques ; ils ne sont pas imprégnés d’idéologie nazie. Les enseignants de ce lycée ne sont pas seulement les hommes qui ne sont pas à la guerre (trop vieux, non militarisés, inapte à la « vraie » vie), ils sont aussi les représentants d’un humanisme en conflit avec la théorie de l’utile prônée par les nazis (et qui ne recueillera d’ailleurs pas plus d’attention au cours du développement économique qui suivi la guerre).
Mais la fantaisie est éphémère et lorsque Heinz Rühmann apparaît à la fin du film, c’est pour nous avouer que l’histoire n’est finalement que le fruit de l’imagination de vieux monsieurs imbibés d’alcool et que l’époque rêvée de Ce Diable de garçon est belle et bien disparue depuis longtemps.
En 1944, la seconde guerre mondiale bat en effet son plein. Les paysages sont dévastés, des millions de soldats meurent pendant les batailles et des millions de juifs et autres minorités sont déportés et exterminés. Durant le tournage du film, entre mars et juin 1943, 40 000 personnes décèdent lors des Insurrections du ghetto de Varsovie. La défaite allemande commence à se dessiner et les alliés débarquent en Italie. Quant aux bombardements sur les villes allemandes, ils prennent de l’ampleur. Par exemple, le jour précédent la première de Ce diable de garçon, le 28 janvier 1944, la Royal Air Force attaque la capitale allemande avec près de 400 avions. L’horreur de la guerre n’épargne pas non plus ceux qui participent aux films et certains des adolescents que l’on voit jouer devant la caméra ne purent le voir au cinéma puisqu’à à la fin du tournage ils furent envoyés au front où ils perdirent la vie.
Quoi qu’il en soit, Ce diable de garçon est doté d’une bonne humeur communicative. Le film est rempli de scènes cultes qui en ont fait le film préféré de plusieurs générations de cinéphiles allemands. Par exemple, lors de sa première diffusion, le métrage a réuni 20 millions de télespectateur devant la deuxième chaine nationale allemande. Le film est porté par la composition de Heinz Rühmann alors âge de 41 ans. Son allure jeune et son sourire espiègle convainquent le public au point où à la fin, personne n’est chagriné par le fait que Pfeiffer trouve le grand amour avec une camarade de classe… mineure.
Produit pour faire oublier au public les horreurs de la guerre, ce diable de garçon est un film schizophrène comme de nombreux films de la fin de la période nazie. Bien qu’il serve le régime, il regarde déjà au-delà de sa chute et appelle de tout son cœur paix et réconciliation : c’est le début du sentiment de culpabilité.
Heinz Rühmann est l’un des acteurs allemands les plus célèbres du XXème siècle et son personnage de Hans Pfeiffer son rôle le plus connu. Acteur comique durant la période nazie, il se voit confier des rôles de composition après la guerre comme dans Le Capitaine de Köpenick (1956), où il incarne un imposteur allemand qui se fit passer pour un officier prussien en 1906. Plus tard, en 1958, il incarne un policier enquêtant sur des meurtres de fillettes dans Ça s’est passé en plein jour. Il joue au cinéma pour la dernière fois dans Si loin, si proche ! de Wim Wenders en 1993.
Anecdote : Bernhard Rust, ministre de l’éducation à l’époque, voyait dans Ce diable de garçon un film bravant l’école et son autorité. Il tente donc d’en interdire la sortie, mais Heinz Rühmann fait jouer ses relations comme il le fit déjà précédemment afin d’obtenir une autorisation pour épouser Hertha Feiler d’origine juive (Joseph Goebbels, ministre de la propagande le considérait comme un grand acteur et l’avait particulièrement apprécié dans des films qui servaient le régime comme Quax, der Bruchpilot vantant les mérites de la Luftwaffe. Cette proximité avec le régime ne sera pas sans conséquence pour Heinz Rühmann mais, en 1944, elle lui permet de faire sortir Ce diable de garçon après une rencontre avec Hermann Göring qui, à la demande de l’acteur allemand avait demandé l’avis d’Adolf Hitler qui avait ordonné de le montrer au peuple puisqu’il s’agissait d’un film pour faire rire.
Die Feuerzangenbowle
Allemagne – 1944
Réalisation : Helmut Weiss
Interprètes : Heinz Rühmann, Karin Himboldt, Hilde Sessak, Erich Ponto, Paul Henckels
Bande annonce en allemand :