Résister ou collaborer ? Réponse avec La leçon d’allemand de Christian Schwochow
L’Allemagne continue d’étudier et d’analyser ce qui s’est déroulé durant la plus terrible période de son histoire. Ce travail de mémoire apparaît d’autant plus nécessaire qu’il semble que nous n’ayons toujours pas su tirer les enseignements essentiels de cette triste page de l’humanité.
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Dans ce contexte désolant, la réflexion que propose le film de Christian Schwochow avec son film La Leçon d‘allemand est à la hauteur du moment, au point qu‘il pourrait peut-être même sauver des vies.
Comment réagir face à l’autoritarisme et à la discrimination ? Doit-on s’insurger, résister, participer, collaborer, fermer les yeux ?
La Leçon d‘allemand parlera à tout le monde, parce qu‘il s‘intéresse intimement au quotidien des gens qui ont dû traverser tant bien que mal ce terrible épisode. En effet, l’intrigue ne se déroule pas sur le front, au coeur des combats, ou dans les quartiers généraux décidant des stratégies à adopter pour gagner des territoires ou stopper l’avancée ennemie.
L‘intrigue, une anecdote dans l‘Histoire mais tellement prégnante pour ses protagonistes, se déroule dans un petit village tout au nord de l‘Allemagne, très éloigné de Berlin. À l‘époque, les consignes gouvernementales n‘étaient pas quotidiennement relayées par la télévision ou internet. Elles n‘en étaient pas moins remarquablement ancrées dans les esprits. Parmi les villageois, les membres de deux familles composent les principaux personnages du film.
Et comme nous sommes dans une société patriarcale, ce sont les hommes qui mènent surtout le jeu. Max est peintre et son art est dégénéré, tel est le jugement du ministère. Jens, le fonctionnaire du IIIe reich, quant à lui, doit appliquer les consignes et faire respecter l’ordre.
– Je ne fais que mon devoir.
– Quelquefois il faut s’opposer à son devoir.
Se répondent les deux hommes…
Les amitiés et coups de main rendus par le passé sont oubliés.
Le premier se rebelle. Le second estime qu’il doit se conformer aux directives du gouvernement. Dans cette situation, comment définir le concept de devoir ?
Le film commence par une scène qui se déroule quelques années après les événements du film. Siggi, fils de Jens et filleul de Max, est en détention pour mineurs. Sur le tableau, un professeur écrit la thématique d’un devoir à rédiger : Die Freuden der Pflicht, les plaisirs du devoir. Quelques minutes plus tard, le geôlier devra lui-même remplir son devoir en s’abaissant à vérifier que l’adolescent n’a pas dissimulé quelque chose dans son anus…
En racontant l’enfance de Siggi, le film montre comment la question du devoir l’a brisé. Les luttes incessantes entre le gendarme et l’artiste ont provoqué la mort de plusieurs proches, la plupart du temps les femmes, et traumatisé l’enfant. Et avec lui les générations d‘Allemands qui ont suivi.
À ce stade, le métrage s’inscrit dans la réflexion du film Le Pont de Bernhard Wicki, exposant également les dégâts générés par le fanatisme des adultes sur leur progéniture. Le film de Christian Schwochow fait même preuve d’un certain cynisme lorsque Siggi, broyé par ce conflit entre le devoir défendu par son père et le plaisir délivré par la peinture, doit fuir devant Jens et Max. Les deux hommes, ennemis jurés d’un temps, sont alors côte à côte car, après la guerre, il faut bien se retrouver pour reconstruire ensemble ce qu’on a détruit…
Résister ou obéir ? Finalement, l’attitude la plus pertinente ne serait-elle pas de ne rien faire et d’essayer de se faire oublier, tout simplement ? Autour de Jens et Max qui s‘affrontent, il y a les villageois, nombreux et invisibles. Ils ne prennent jamais position, ni pour l‘un ni pour l‘autre, et en effet, ils traversent cette épreuve en perdant moins que les deux hommes.
Les villageois choisissent de ne pas prendre parti, de faire le dos rond et d’attendre que les circonstances soient plus favorables à une vie moins mouvementée mais il y a un hic, illustré par une maison de maître, abandonnée, et qui sert de terrain de jeu aux enfants. Jamais personne n’évoque ceux qui y vivaient, mais le spectateur imagine aisément qui ils étaient et ce qu’ils sont devenus…
Au final, La leçon d‘allemand ne donne pas d’instruction, expose simplement les conséquences des positions, attitudes et choix que chacun pourra faire dans une telle situation. Malheureusement, il n‘y a donc pas de bonnes postures à adopter.
Pour illustrer cette désolation, le film exploite judicieusement et admirablement les paysages austères du nord de l‘Allemagne. Dans ce plat pays, on peut voir la tempête arriver de loin. Et quand la mer se retire, ce n‘est pas pour laisser la place à un sable fin et doré de la couleur du soleil. Au contraire, c’est une vase noire et épaisse qui est découverte et confère au film une teinte proche du noir et blanc. Visuellement, la photographie de Frank Lamm sert l’oeuvre magistralement. Certaines parties du film sont de véritables peintures animées, de surcroît magnifiquement mises en musique par Lorenz Dangel, justifiant les prix remportés par La Leçon d‘allemand dans ces deux catégories.
La leçon d’allemand est une adaptation libre du roman du même nom, publié en 1968 et écrit par Siegfried Lenz, l’un des écrivains allemands les plus importants de l’après-guerre. Le roman, considéré outre-Rhin comme un monument de la littérature, a été adapté une première fois à la télévision par la chaîne ARD dans un téléfilm en deux parties.
Deutschstunde
Allemagne – 2019
Réalisation : Christian Schwochow
Interprètes : Ulrich Noethen, Tobias Moretti, Levi Eisenblätter, Johanna Wokalek, Sonja Richter, Louis Hofmann…