The Last Berliner : À bas les promoteurs immobiliers !
Le cinéma sert parfois d’expiation. En ce moment, c’est la gentrification qui semble peser sur le cœur, au point que le sujet se retrouve au centre de plusieurs films. Certains, comme Next Door (2021), font leur mea culpa avec sincérité. Pour sa part, The Last Berliner s’empare de la thématique de manière plus maladroite mais propose une approche plus nerveuse.
Tobias a passé sa journée à installer des canalisations d’eau et à réparer baignoires, lavabos et autres radiateurs. Le soir, il rend visite à son père Wolfgang, le dernier habitant d’un vieil immeuble promis à un bel avenir. En effet, les promoteurs immobiliers vont le réhabiliter. Malheureusement, ce n’est pas le père de Tobias qui profitera de la rénovation.
Comme il n’a pas les moyens de payer le logement revalorisé, le voilà prié de quitter les lieux. Une mise en demeure à laquelle il s’oppose avec virulence ; il est très attaché à ce foyer où il a élevé ses enfants. Lorsque Tobias arrive chez son père, il le trouve prêt à en découdre avec Robert, l’agent immobilier venu négocier son départ. La situation s’envenime de manière dramatique, à un tel point que Wolfgang se suicide.
Terriblement affligé, Tobias perd la tête et décide de prendre en otage Robert. Il compte le faire parler, afin de découvrir les véritables raisons de sa visite. Lorsqu’une policière découvre incidemment ce qui se trame, elle se retrouve sur la liste des otages avec l’agent immobilier et la situation devient alors incontrôlable…
Remplacer les bistrots par des biocoops
The Last Berliner débute avec une bien jolie introduction, s’articulant autour d’une scène clé du film, qui ne sera expliquée que bien plus tard. D’une manière touchante, cette séquence permet aussi de présenter le quotidien de Tobias, plombier aux journées de travail harassantes, injustement traité par les policiers et donc le système.
À ce moment, The Last Berliner aurait peut-être pu opter pour une actualisation du Chute Libre (1993) de Joel Schumacher… À la place, le réalisateur choisit une approche plus claustrophobe, focalisée sur les hommes…
Gregor Erler explique la gentrification d’une manière assez simple. D’un côté, ceux qui doivent être expulsés. De l’autre, ceux qui expulsent pour le compte des agences immobilières. Les premiers sont de braves gens qui ne demandent qu’à vivre dans leur vieil appartement. Les autres représentent les intérêts financiers, totalement dénués d’humanité et uniquement motivés par l’appât du gain.
Le traitement des personnages est tout aussi manichéen : Tobias est un gars costaud, travailleur honnête au visage inspirant la confiance. En outre, en réparant des conduits qui fuient ou qui sont bouchés, il exerce une tâche dont l’utilité est indiscutable. Le représentant de la société immobilière, quant à lui, est un type mince à la figure sournoise. Son regard fuyant enjoint à la méfiance. Quant à la valeur de son travail, n’en parlons même pas.
Confronter activité utile et tâche inutile, riches et pauvres, honnêteté et malhonnêteté… C’est un peu facile. Or, en fin de compte, aussi immorales soient-elles, les agences immobilières restent légales ; elles n’enfreignent pas la loi. Au contraire, elles ne font que s’appuyer sur des lois rédigées pour les aider à accomplir leur tâche.
Dès lors, en se contentant d’opposer les individus, The Last Berliner semble manquer de recul et perdre de vue l’origine du problème.
Divertir c’est faire diversion
Cet élément mis à part, The Last Berliner propose un divertissement évident grâce à son suspens solide.
Les qualités du film sont d’ailleurs évidentes. Par exemple, Gregor Erler exploite habilement l’unité de temps et de lieu. Ainsi, sur un espace-temps relativement réduit – l’histoire se déroule sur un après-midi – et un espace-lieu tout aussi dérisoire – un appartement – le film parvient sans mal à proposer son lot de surprises et de rebondissements.
En outre, Erler se livre à des cadrages insolites illustrant au mieux la solitude de notre héros, seul contre tous. Contre-plongées, caméra au ras du sol et grands angles utilisent joliment le cinémascope et donnent également un rôle trompeur à l’appartement où se déroule l’intégralité de l’action… Entre forteresse imprenable et un chez soi confortable avec sa moquette usée et rassurante.
Au final, malgré quelques facilités, comme une caméra tremblante pour en rajouter dans la tension, la réalisation de Gregor Erler s’avère efficace. Le rythme constant permet ainsi à The Last Berliner de pleinement s’inscrire dans le cinéma de genre.
Allemagne - 2018 - Gregor Erler
Titres alternatifs : Der Letzte Mieter
Interprètes : Pegah Ferydoni, Matthias Ziesing, Tom Keune, Thilo Prothmann, Sebastian Achilles, Moritz Heidelbach, Mignon Remé...