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Fitzcarraldo – de mélomane à mégalomane il n’y a qu’un bras de terre

Certains films sont marqués par le destin et la démesure… Pour Le Mécano de la Générale (1926), Buster Keaton fait construire un pont qu’il ne filme que quelques secondes avant de le dynamiter. Pour d’autres raisons, conditions météorologiques, maladie, substances illicites consommées… Le tournage d’Apocalypse Now (1979) se révèle dantesque. Fitzcarraldo, pour sa part, restera dans l’histoire pour ce bateau que fait construire en pleine jungle d’Amazonie le réalisateur Werner Herzog. Mais cette folie ne s’arrête pas là… Pour que l’ensemble de l’équipe de tournage partage, avec le héros du film, la certitude qu’il était possible de bouger des montages, les techniciens devaient ensuite, avec l’aide de plusieurs tribus d’Indiens, tirer le bâtiment tout le long d’une pente inclinée afin de faire passer le rafiot par-dessus une colline !

La réalité allait dépasser la fiction d’un scénario hors norme…

Fitzcarraldo - de mélomane à mégalomane il n'y a qu'un bras de terre
Fitzcarraldo - de mélomane à mégalomane il n'y a qu'un bras de terre

Fitzcarraldo est un visionnaire. C’est aussi un fou. Son obsession : construire un opéra au milieu de l’Amazonie. Pour financer son projet insensé, Fitzcarraldo achète une bande de terrain au Pérou. Là, poussent des arbres à caoutchouc dont il compte bien exploiter la sève afin de s’enrichir. Malheureusement, l’emplacement est difficile à atteindre. En effet, la rivière qui mène à la parcelle est très agitée en raison de nombreux rapides. La voie est donc impraticable et il est impossible d’acheminer, par bateau, les matériaux nécessaires à l’exploitation du domaine.

C’est alors que Fitzcarraldo découvre qu’une autre rivière coule parallèlement à la sienne. En outre, à un moment, les deux affluents se rapprochent au point qu’ils ne sont plus séparés que par un petit massif montagneux… Une idée de génie vient à l’esprit de Fitzcarraldo. Permettre au bateau de passer d’une rivière à l’autre en lui faisant traverser le bras de terre qui les sépare…

Force est de constater que Werner Herzog sait tirer le meilleur parti de l’exploit qui se déroule devant sa caméra. Ainsi, être témoin de la concrétisation de ce projet monumental consistant à faire passer un bateau à travers la forêt, s’avère tout bonnement fascinant. Médusés, nous assistons à la réussite de l’homme face à la nature, et c’est des deux mains qu’on applaudit. D’autant plus que les images de la forêt vierge signées Thomas Mauch sont magnifiques, exceptionnelles et grandioses.

Mais il ne s’agit que d’un piège.

Fitzcarraldo - de mélomane à mégalomane il n'y a qu'un bras de terre
Fitzcarraldo - de mélomane à mégalomane il n'y a qu'un bras de terre

En effet, ce qui se déroule sous nos yeux s’avère une farce. Fitzcarraldo n’est pas un rêveur. Et ce n’est pas un constructeur non plus. Il faut être aussi fou que lui pour adhérer à un tel projet. Au-delà de ses airs de grand enfant et de ses cheveux en pétard, émerge surtout la figure d’un dangereux démolisseur, néfaste et nuisible. Et c’est ainsi que le film transforme le spectateur en complice de la folie d’une civilisation destructrice.

Quant à la musique planante, complaisante et bienveillante envers ce dangereux fossoyeur, elle ne décrit rien d’autre qu’une civilisation reconnaissant en Fitzcarraldo un digne artisan de son expansionnisme.

Ainsi, le film de Werner Herzog décrit la mégalomanie des hommes blancs qui veulent dompter la nature et qui, dans leur élan, ne voient pas l’absurdité de construire un opéra en plein milieu de l’Amazonie.

Fitzcarraldo, c’est la bêtise incarnée. D’ailleurs, auparavant, le bonhomme s’était mis en tête de vendre des pains de glace dans une région tropicale auprès d’autochtones qui ont parfaitement maîtrisé l’art de s’accommoder à leur environnement.

C’est aussi l’éloge de l’immoralité puisque Fitzcarraldo finance son projet néfaste avec l’argent de son amie Molly, maquerelle, qui tient un bordel.

C’est encore le mépris, lorsque, à l’attention des soi-disant sauvages, Fitzcarraldo joue, sur son gramophone crachotant, les airs du ténor Enrico Caruso pour imposer sa culture qu’il juge supérieure. Fitzcarraldo ne s’intéresse pas aux populations locales. Il ne s’agit, pour lui, que d’exploiter ses ressources pour réaliser ses caprices morbides.

Fitzcarraldo - de mélomane à mégalomane il n'y a qu'un bras de terre
Fitzcarraldo (1982) Directed by Werner Herzog Shown: Klaus Kinski

Werner Herzog ne reculait devant rien, y compris manipuler le plus terrible des acteurs allemands pour arriver à ses fins. Avec Fitzcarraldo, il exploite effectivement à son profit toutes les ressources cachées de Klaus Kinski. Car, arrogant, méprisant, fou, sont effectivement des « qualités » intrinsèques de l’acteur. D’ailleurs, le comédien incarne et défend avec tant de véhémence et de passion un personnage aussi détestable que l’on peut se demander s’il avait saisi la nuance du message du film… Peut-être, effectivement, que Kinski ne voyait en Fitzcarraldo rien d’autre qu’un visionnaire et un génie…

Quoi qu’il ne soit, le film n’aurait jamais été aussi intense sans Klaus Kinski qui remplace Jason Robards et Mick Jagger. Tous deux désignés, au départ, pour incarner le personnage. De même, gageons que Fitzcarraldo n’aurait jamais eu le même impact s’il avait été tourné de manière conventionnelle. La folie qui imprègne chaque centimètre de pellicule génère des émotions complexes. Celles-ci faisant appel à nos rêves de mégalomanie, tout en démontrant leur aspect destructeur et maladif. On peut choisir de regarder cette aberration en face, ou préférer tourner la tête.


Allemagne
- 1982 - Werner Herzog
Interprètes : Klaus Kinski, José Lewgoy, Miguel Ángel Fuentes, Paul Hittscher, Huerequeque Enrique, Bohorquez, Grande Otelo, Peter Berling, David Pérez Espinosa…


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Article signé André Quintaine
D'origine allemande et passionné de cinéma de genre,
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du cinéma allemand sur ThrillerAllee.
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