Der Bunker, séquestration, maltraitance, éducation
Habituellement, en temps de guerre, le terme bunker évoque un lieu qui protège. Depuis quelque temps, de Michael (2001) à 10 Cloverfield Lane (2016), il est plutôt associé à la séquestration et à la maltraitance. C’est maintenant au tour d’un jeune réalisateur indépendant de se consacrer au sujet pour illustrer l’éducation parentale et scolaire.
L’Étudiant (Pit Bikowski – tueur transgenre dans Der Samurai en 2014) est en quête d’un endroit calme pour mener à bien ses travaux de recherches. C’est ainsi qu’il se retrouve dans un bunker isolé au milieu de la forêt. Ses hôtes, qui mettent à sa disposition une chambre borgne, forment une famille un peu singulière. Le maître du bunker, le père (David Scheller) se prend pour un intellectuel, n’hésitant pas à philosopher sur la consistance d’un œuf au plat. La mère (Oona von Maydell) parle tous les soirs avec Heinrich, une plaie sur sa jambe. Le fils de 8 ans Klaus (Daniel Fripan), paraît beaucoup plus âgé et se prépare à devenir président dès qu’il sera grand. Cependant, comme il n’est pas très malin, les parents demandent à l’Étudiant de lui faire l’école ; les efforts qu’ils ont eux-mêmes mis en œuvre pour atteindre quelques résultats se sont avérés vains.
Pour son premier film, Nikias Chryssos créé un univers obscur dans lequel se débat une famille étrange. Cependant, ses valeurs sont tellement communes qu’il est facile de s’identifier à elle. Au final, cette identification s’avère parfois dérangeante puisque l’on se retrouve dans l‘excentricité aussi de ces protagonistes. À ce titre, on trouve au centre du récit, étiré jusqu’à l’absurde, le thème de l’éducation, particulièrement malmenée par le film. Par exemple, comme les parents rêvent d’une carrière pour leur fils, celui-ci doit aller à l’école et apprendre par cœur des listes de capitales qu’il n’arrive pas à retenir. Mais les parents s’obstinent, au point de ne pas reconnaître l’âge réel de leur enfant qui a de toute évidence largement dépassé celui d’être au CE1. Der Bunker interroge ainsi les attentes des parents vis-à-vis de leurs enfants, mais aussi les exigences du système par rapport aux parents. Der Bunker est donc au final une allégorie non voilée du système éducatif, fabrique à futurs travailleurs dociles, où l’on forme des êtres capables de recracher tels quels des cours appris par cœur et certainement pas un lieu pour découvrir, expérimenter, s’épanouir. Dans un tel système, vouloir le meilleur pour son enfant revient à l’enfermer dans un bunker.
Grâce à leur jeu à multiples facettes, les acteurs parviennent admirablement à projeter monsieur Tout-le-monde dans des situations singulières. Celui qui tire son épingle du jeu est cependant Daniel Fripan (Le maître des sorciers -2001, Victoria – 2015) qui, malgré sa trentaine, doit jouer un écolier du primaire. Cette décision prise originellement pour éviter d‘avoir à travailler avec un enfant, s’avère particulièrement judicieuse. L’exploit réalisé par Daniel Fripan, qui joue habituellement les nazis ou les criminels, est d’avoir parfaitement évité le ridicule. L’absence de second degré dans son jeu déstabilise et met mal à l’aise le spectateur qui n’a pas l’habitude de voir un adulte jouer le rôle d’un enfant à qui l’on n’a pas laissé suffisamment de place pour devenir adulte. Cette situation non-naturelle interroge jusqu’à la structure des familles à un seul enfant formant un monde à taille réduite, étriqué, replié sur lui-même pour se protéger de l’extérieur, et dans lequel l’enfant unique porte sur ses frêles épaules tous les espoirs des parents et de la société. Le refus de sortir de l’enfance en devient presque rationnel.
Der Bunker ressemble à un patchwork du travail de Dario Argento pour les couleurs et de David Lynch pour l’étrangeté des situations. Quelque peu auteurisant dans la forme, il n’en est pas pour autant abstrait et inaccessible. La sévère critique dirigée contre l’école, le système et l’autorité parentale y est parfaitement claire et lisible. L’intérêt et la curiosité du spectateur sont également constamment relancés grâce à une succession de scènes bizarres et atypiques.
Source : Deadline – das Filmmagazin
Der Bunker
Allemagne – 2015
Réalisation : Nikias Chryssos
Interprètes : Daniel Fripan, David Scheller, Pit Bukowski, Oona, von Maydell