La Vie des autres – État de surveillance
En 2006, La Vie des autres sort au cinéma après deux films évoquant la RDA : L’Allée du Soleil et Good Bye Lenin, deux œuvres portant un regard léger sur cet État affilié à l’URSS au sein du bloc de l’Est. Les points communs entre les trois œuvres s’arrêtent là. En effet, le film de Florian Henckel von Donnersmarck est bien plus sombre.
Thriller teinté d’espionnage, le réalisateur allemand expose le fonctionnement d’un état autoritaire et décrit le cauchemar de la surveillance organisée…
Notre système démocratique permet la liberté d’opinion mais ne garantit pas que cette liberté soit sans conséquences, certes ; mais en Allemagne de l’Est, il n’était même pas possible de s’exprimer…
En effet, grâce à ses trois cent mille employés et informateurs répondant aux ordres de la Stasi, la police secrète du régime, le système de contrôle parvenait à surveiller les 16 millions d’habitants du pays. En clair, près d’une personne sur 50 œuvrait dans l’ombre afin de tout savoir sur tout le monde.
Tout le mérite de La Vie des autres est de permettre au spectateur de toucher le quotidien des personnes qui ont vécu dans ce régime totalitaire…
Les poètes sont les ingénieurs de l’âme…
Ulrich est le supérieur de Gerd, assigné à la surveillance de Georg, auteur de théâtre. Le dramaturge est en couple avec l’actrice Christa. La jeune femme entretient une relation avec un ministre qui l’oblige à avoir des relations sexuelles. En échange, le sale type lui accorde le droit de continuer sa carrière de danseuse. Comme l’homme d’État veut faire chuter le compagnon de sa maîtresse, il décide de s’adresser à la Stasi…
Le film relate d’abord la surveillance d’un intellectuel. Cependant, il montre aussi le traitement réservé à celui qui donne un petit coup de main pour aider le voisin à passer à l’Ouest, ou au père un peu trop bavard lors des repas familiaux.
Raconter l’espionnage de l’un des artistes les plus en vue du régime permet néanmoins de décrire à quel point le petit pays socialiste était gangrené par des personnes malveillantes tirant parti de leur position sociale pour favoriser la carrière d’un artiste en échange de quelques privilèges…
Le film repose toutefois sur Ulrich Mühe, le père martyrisé par Michael Haneke dans Funny Games. Il interprète avec maîtrise Geird, un enquêteur de la Stasi. Craint de tous, convaincu du bien-fondé de son travail, il souffre aussi d’une existence pathétique marquée par la solitude. Son évolution l’amène à questionner l’action de ses supérieurs et donc le rôle qu’il joue pour eux. Lorsqu’il découvre qu’il a mis son existence au service d’une cause corrompue, plus que la chute d’un mur, c’est celle d’un rêve…
La sonate de l’homme bon
La RDA s’est construite sur une utopie. En conséquence, un idéaliste comme Geird n’aura sans doute pas de scrupules à dénoncer une personne qui contrevient à la politique du parti. En revanche, il peut être plus difficile d’obtenir son assentiment si l’objet de sa surveillance se révèle être un véritable socialiste, irréprochable de surcroît.
Même s’il n’existe pas, semble-t-il, de cas avéré de collaborateurs ayant défendu un artiste harcelé par l’État, La Vie des autres séduit par sa quête de réalisme.
Par exemple, le film permet de suivre des interrogatoires et ces séquences se basent sur des témoignages. On explique même les techniques utilisées à l’époque. Par exemple, on conservait les coussins des sièges sur lesquels s’étaient assis les suspects. L’échantillon d’odeur ainsi obtenu était supposé permettre aux chiens de traquer les contrevenants si cela s’avérait nécessaire par la suite…
– Je n’ai rien fait. Je ne sais rien.
– Vous croyez donc qu’on arrête des innocents par caprice ? Croire que notre système humaniste soit capable d’un tel acte suffit à justifier votre arrestation.
Dans un système basé sur le pouvoir, rien n’est privé
Quoi qu’il en soit, tout en décrivant les pratiques condamnables de la Stasi, le film se garde bien de critiquer l’idéologie défendue par la RDA…
En effet, La Vie des autres s’évertue à faire une différence entre l’utopie socialiste et ce qu’en ont fait des hommes indignes. Ainsi, les véritables héros du film ne sont pas ceux qui jurent de rejoindre l’Ouest, mais plutôt les hommes qui démontrent leur courage en se battant pour une cause noble et en osant se lever contre un pouvoir qui les opprime.
On peut d’ailleurs trouver amusant que le film dominé par des tons sépias ne trouve des couleurs que dans les ultimes minutes du film, grâce aux tags qui s’affichent désormais sur les murs d’un Berlin réunifié…
Das Leben der Anderen – Allemagne – 2006 ; réalisation : Florian Henckel von Donnersmarck, Interprètes : Martina Gedeck, Ulrich Mühe, Sebastian Koch, Ulrich Tukur, Thomas Thieme, Hans-Uwe Bauer, Volkmar Kleinert, Matthias Brenner…