Le Sang du pélican – instinct maternel et sorcière
Les hommes n’ont pas toujours la solution, les femmes ne sont pas toujours passives, les enfants ne sont pas toujours adorables, les films d’auteurs ne sont pas toujours ennuyeux, les films de genre ne sont pas toujours superficiels…
Wiebke exerce un drôle de métier que l’on ne voit pas tous les jours au cinéma et pour cause, il n’est pas très sexy : la jeune femme dresse les chevaux que la police utilise pour maintenir l’ordre.
Wiebke n’a pas de mari, mais elle a une fille qu’elle a adoptée : Nikolina. D’ailleurs, elle souhaite désormais accueillir une nouvelle petite fille. Pour offrir une petite sœur à Nikolina, Wiebke part en Bulgarie car, selon elle, même si le pays est réputé rétrograde, cela ne le dérange pas de confier ses orphelins à des femmes seules et indépendantes, contrairement à l’Allemagne…
C’est ainsi que la petite Raya finit par débarquer en Allemagne. Elle s’adapte plutôt bien à son nouvel environnement. Un peu trop décontractée peut-être… En effet, au bout de quelques jours, la gamine embrasse un comportement insolent puis, carrément violent et inquiétant. Le psychologue consulté est formel : Raya a subi des événements traumatisants qui l’ont totalement privée d’empathie. Comme il n’y a rien à faire pour remédier à la situation, le spécialiste débordant de bienveillance et de sollicitude conseille vivement à Wiebke de faire usage de son droit de rétractation et de retourner l’enfant à l’orphelinat… Sauf que Wiebke ne l’entend pas de cette oreille… Son instinct maternel lui conseille de ne pas abandonner…
Le Sang du pélican n’est pas un film sur l’adoption des enfants en provenance des pays de l’Est
Le Sang du pélican démarre comme un drame social. Qui est cette femme seule ? Qu’est-ce que c’est que cette cicatrice au coin de l’oeil. Pourquoi n’y a-t-il pas de père ? Les réponses se trouvent dans ce métier qu’elle a choisi et qui l’oblige à vivre dans une ferme éloignée des autres.
Puis, arrive la petite Bulgare… Commence alors un drame intimiste qui devient de plus en plus sombre. Qu’a bien pu subir l’enfant de si terrible pour être aussi instable ?
Alors que l’on imagine une sordide histoire de la trempe de celles qui ont fait la réputation peu flatteuse des pays de l’Est (Hostel, Ils…), le film décide alors de bifurquer vers un sous-genre du film d’horreur trop peu exploité. Habitués que nous sommes au fantastique expliqué, voici maintenant venu le temps de la science expliquée par le fantastique.
Le Sang du pelican est le second long métrage de Katrin Gebbe après Aux mains des hommes en 2013. Les deux films ont en commun un excellent accueil dans les festivals avec un certain nombre de prix remportés, ce qui n’a rien de surprenant.
Cinéma de genre pour un film à message
La frêle et courageuse Wiebke est interprétée par Nina Hoss. Vous la connaissez puisqu’elle était la vampire blonde de Nous sommes la nuit, petit film fantastique pas très glorieux, surfant sur la vague Twilight mais proposant un divertissement agréable. Elle incarne ici un personnage de femme célibataire moins présomptueux. La cicatrice qu’elle arbore semble en effet symboliser une existence qui ne lui a probablement pas fait beaucoup de cadeaux. Au final, c’est une femme qui n’enfante pas mais qui va devoir démontrer qu’elle mérite malgré tout son statut de mère.
Les deux enfants du film sont excellents. Adelia-Constance Ocleppo qui subit les affres de sa petite sœur est un personnage intéressant évitant le pathos. Dans le rôle de la terrible et touchante Raya, Katerina Lipovska est effrayante à en donner des cauchemars. Le film ne recule devant rien, cherche le réalisme et de nombreuses scènes peuvent déranger ou mettre mal à l’aise.
Le film prend évidemment des risques, tout particulièrement en osant remettre en question la sainte autorité scientifique. Cette fronde s’appuie sur une position féministe, faisant appel à l’imagerie des sorcières… Ces femmes qui, au Moyen Âge, représentaient un danger pour l’ordre moral car elles n’épousaient pas les codes de la société.
Entre son ami policier, qui ne connaît que l’autoritarisme pour faire filer droit les enfants, et les diagnostics des médecins, aussi définitifs et arbitraires que le sermon d’un prêtre, Wiebke n’a finalement pas d’autre choix que de s’adresser à l’une de ces créatures « qui dit les sorts » pour trouver une aide véritable.
Une aide basée sur quelque chose qui manque cruellement aux hommes et au monde qu’ils ont érigé, pétri de lois et de règles : l’empathie. En fin de compte, Le Sang du pélican affirme, avec force, l’importance de l’instinct maternel.
Pelikanblut – Allemagne, Bulgarie ; réalisation : Katrin Gebbe ; interprètes : Nina Hoss, Katerina Lipovska, Adelia-Constance Ocleppo…
J’ai trouvé le film très touchant. J’ai pu être de nombreuses fois mal à l’aise dû à des scènes peu habituelles, pourtant les scènes montrent une réalité propre à chacun, l’empathie et l’envie d’aider l’autre. Votre analyse est plus que précise, d’une exemplarité sans pareille. Merci pour cette vision du film, que je trouve, à mon goût, très juste
Merci