Nekromantik – Art et essai grotesque
Lorsque Nekromantik paraît en 1988, le film de Jörg Buttgereut est immédiatement classé parmi les œuvres dont la vision est difficile à soutenir, au même titre qu’un Massacre à la Tronçonneuse. Nekromantik était effectivement une sacrée épreuve ! Aujourd’hui, la force évocatrice est probablement intacte, mais il est possible que son aspect grotesque joue en sa défaveur.
Tobe Hooper a limité l’aspect outrancier de son métrage pour en conserver tout le réalisme, ce qui n’est pas le cas de Jörg Buttegreit qui a tenté des expériences surréalistes qui peuvent dérouter, voire faire sourire involontairement. Telle la fameuse séquence durant laquelle Rob et une jolie blonde s’amusent dans la nature luxuriante à innocemment s’envoyer des morceaux de barbaques dans les bras. Ces tentatives expliquent peut être pourquoi le film est aujourd’hui sous estimé, invisibilisant presque les qualités intrinsèques de l’oeuvre.
Film d’auteur de tous les excès
Robert n’a pas choisi son entreprise de nettoyage pour rien. Ce métier lui permet de fréquenter la mort et de ramener à la maison des débris de cadavres accidentés qu’il ramasse au bord des routes. Ces morceaux de choix sont conservés dans des bocaux avant de servir à Betty, la petite amie de Robert, qui apprécie de partager ses bains nue avec des reliques humaines… Bientôt, Robert va avoir l’occasion de faire un cadeau bien plus imposant à sa chère et tendre…
Fan de films d’horreur, de la série des Godizlla, mais aussi de Werner Herzog, Jörg Buttgereit est un érudit en matière de 7e art. Par exemple, il a participé à l’un des magazines les plus pointus en cinéma de genre et d’Auteur : Splatting Image. Aujourd’hui, il alimente une rubrique dans la revue Deadline. Nekromantik démontre d’ailleurs une connaissance et une maîtrise certaine de la mise en scène. Des qualités qui ont aussi permis au film d’être affublé du statut art et essai malgré des éléments caractéristiques des films amateurs.
Ces contradictions ponctuent d’ailleurs l’intégralité du métrage, lui conférant une apparence grotesque, au point qu’il est impossible de le prendre au sérieux. Ainsi, tandis que résonne une mélopée de toute beauté, nous assistons à des ébats sensuels… avec un cadavre dans un triste état… Et dont la conception est en outre extrêmement réaliste. Les caresses s’enfoncent dans la peau en putréfaction, les échanges de fluides corporels écœurants tranchent avec la beauté de la musique.
Nekromantik est d’ailleurs un constant festival visuel et auditif. Ainsi, après la mélodie accompagnant la viscérale scène à trois, le paisible petit déjeuner qui suit a droit, lui, à des sons stridents, annonçant la crise qui ne va pas manque de secouer le couple.
Motivations morbides
Poser une araignée sur la main d’un arachnophobe peut le guérir de son obsession. Dès lors, côtoyer aussi intimement la mort en dit long sur Robert et Betty. Les aspirations des deux dépravés héros de Nekromanitik ne sont pourtant pas les mêmes. Betty entretient une relation charnelle et érotique avec la mort. Ainsi, dans la séquence érotique ou tous les deux s’ébattent autour de leur ami en piteux état, Betty connaît une véritable expérience sexuelle avec cet amant incongru tandis que Rob, à l’écart, s’interroge tellement sur ce qu’il conviendrait de faire qu’il en vient à s’amuser pathétiquement avec le globe oculaire du troisième larron. Les objectifs qui animent Robert sont donc, pour leur part, d’une autre nature.
Évidemment, Jörg Buttgereit ne s’intéresse pas véritablement à la nécrophilie. À travers le personnage de Robert, c’est un peu la détresse des hommes face à la femme qui s’exprime, en témoigne le fait que Betty délaisse Rob dès qu’il a perdu son travail et la possibilité de ramener au sein du couple ce que les femmes attendent de leurs homologues masculins : de quoi les alimenter. Ici, il ne s’agit pas du repas de midi mais de nourrir la perversion de Betty.
Même si Nekromantik reste difficile à cerner aujourd’hui encore, on peut cependant mettre en valeur l’atmosphère sale et sombre, la musique belle et obsédante ainsi que la finesse avec laquelle se voit présentée la psychologie des personnages.
La subversion, on la trouve dans la mise en scène de Jörg Buttgereit qui filme tout ce qui se passe devant sa caméra comme s’il s’agissait d’un événement quelconque. Un accident de la route, la mort stupide d’un voisin, une collection de morceaux de cadavres, une partie de jambes en l’air à trois englobant un macchabée… Rien ne semble choquer Jörg Buttegreit qui filme ce spectacle comme s’il s’agissait d’une comédie légère.
Fiche technique
Allemagne – 1988 – Réalisation : Jörg Buttgereit ; interprètes : Daktari Lorenz, Harald Lundt, Susa Kohlstedt, Christiane Baumgarten, Henri Boeck, Michael Buschke, Jörg Buttgereit…