Mandragore – Corrompre les âmes
Mandragore (Alraune, 1952) est la sixième adaptation du roman Alraune, die Geschichte eines lebenden Wesens écrit par Hanns Heinz Ewers en 1911 d’après la légende de la mandragore. Cette version réalisée par Arthur Maria Rabenalt est considérée comme étant plus faible que celles signées Michael Curtiz en 1919 et Henrik Galeen en 1928. Malgré tout, elle dispose d’un argument choc en la présence de l’ensorcelante Hildegard Knef. En apparaissant nue dans Die Sünderin (1951), la sulfureuse actrice est d’ailleurs à l’origine de l’un des premiers scandales de l’après-guerre.
La mandragore allemande
Le professeur Jacob ten Brinken souhaite prouver que le Mal se transmet de génération en génération. Pour atteindre son but, il crée une jeune femme, fusionnant génétiquement l’ADN de la fille d’une prostituée de Hambourg avec celui d’un meurtrier condamné à la potence. Le résultat est Alraune, femme fatale qui fait tomber tous les hommes et ne sème que le malheur autour d’elle.
Créée artificiellement par la main de son oncle, la Mandragore évoque irrémédiablement la créature de Frankenstein. La différence réside dans le fait que le thème de l’immortalité fait ici place à celui de l’hérédité. Subtilement, le film démontre que personne n’est prisonnier de son héritage.
Ainsi, lorsque les sœurs qui s’occupent de l’éducation de la jeune fille condamnent ses lectures obscènes et la renvoient chez son oncle, l’origine du Mal n’est pas à chercher du côté des parents biologiques d’Alraune. Mais plutôt auprès de celui qui l’a élevée, son oncle. Les motivations incestueuses de ce dernier ne sont d’ailleurs que peu sous-entendues par le film. Par ailleurs, l’attitude autoritaire et les soudaines colères du bonhomme rappellent un personnage célèbre ayant tristement œuvré dans les années 30 et 40 en Allemagne…
Dans ce contexte, Alraune incarne le symbole d’une jeunesse éprise d’une liberté impossible dans une Allemagne pétrie de carcans moraux. Ainsi, comment l’Allemagne pourra-t-elle s’épanouir tant qu’œuvreront ceux qui ont trituré ses gènes et qui portent la responsabilité du Mal qui sévit en elle ?
Envoûtante Hildegard Knef
La mélancolie imprègne l’intégralité du film, que ce soit à travers son noir au blanc somptueux, ses décors enchanteurs comme la serre dans laquelle déambule Alraune, ou encore la jolie ritournelle entonnée près de la fontaine par la savoureuse Hildegard Knef. Une actrice à la beauté éminemment fatale.
Dès le début du film, la grâce de la belle apparaît avec délicatesse à l’écran. Comme lorsque son personnage tente de fuir au risque de tomber de son balcon. Le personnage personnifie parfaitement cette mélancolie, donnant également des allures de conte gothique au film.
Le long métrage prend cependant des allures de série B lorsque, dans la crypte qui sert de laboratoire au professeur Jacob ten Brinken, Alraune tient compagnie à un singe en cage, triste résultat des expériences du scientifique fou.
L’anti La Belle et la Bête
Mandragore s’éloigne alors quelque peu de la féerie de La Belle et la Bête (1946) de Jean Cocteau, pour prendre une surprenante direction plus proche de la série B. Et plus précisément de la science-fiction naïve et désuète des années 50.
Le personnage caricatural interprété par Erich Van Stroheim nous renvoie d’ailleurs à celui endossé par Bela Lugosi dans d’innombrables Poverty Row… Films à petits budgets produits par des studios indépendants durant les années 30 et 40, comme The Death Kiss ou Black Dragons, par exemple.
Dès lors, et à l’instar de son personnage imaginaire, Mandragore prend l’apparence d’un film convenable, tout en s’appuyant pourtant sur des sujets extravagants comme ce scientifique fou capable de fabriquer des créatures dans son laboratoire rempli d’éprouvettes. Cette incongruité a inspiré des critiques acerbes, comme celles d’Ivan Bulter qui, dans Horror in the Cinema, voyait en Mandragore « une nouvelle victime de la déchéance du cinéma allemand des années 50 ».
Aujourd’hui et avec le recul, Mandragore est une œuvre superbe, largement mise en valeur par l’envoûtante Hildegard Knef… Difficile d’imaginer quelqu’un d’autre pour incarner la créature. L’affiche, splendide, et le charme suranné qui émane du film évoqueront bien des souvenirs, plus particulièrement aux lecteurs des romans de la collection Angoisse.
Allemagne - 1952 - Arthur Maria Rabenalt
Titres alternatifs : Alraune
Interprètes : Hildegard Knef, Erich von Stroheim, Karlheinz Böhm, Harry Meyen, Rolf Henniger, Harry Halm, Hans Cossy...