Universal Theory – Impénétrable comme un manteau de neige
Les univers parallèles… Vaste sujet, généralement abordé de manière complexe par le cinéma. Certains films parviennent néanmoins à exploiter la thématique de manière ludique en étant les plus inclusifs possibles. Comme le récent animé Hello World (2019). D’autres, en revanche, optent pour une approche redoutablement plus rebutante en adoptant un parti pris intellectuel. Comme Universal Theory…
Le film intrigue pourtant agréablement : il s’ouvre sur une émission de talk-show se déroulant dans les années 70. Couleurs psychédéliques, plateau enfumé, ton sarcastique du présentateur qui prend de haut les divagations de l’auteur de The Theory of Everything. L’écrivain, venu présenter son roman, échoue à essayer de faire comprendre à son interlocuteur que l’histoire à l’origine de son livre n’a rien d’une fiction. Johannes abdique, et quitte finalement le plateau. Mais, auparavant, l’auteur fixe la caméra et s’adresse à une mystérieuse Karine dont il a perdu la trace…
La suite du métrage se déroule quelques années auparavant et raconte justement la rencontre de Johannes et de Karine. L’action se situe durant une convention scientifique juste après la Seconde Guerre mondiale, dans une station des Alpes suisses enneigées qui va s’avérer la porte d’entrée d’univers parallèles…
De la science
Si la théorie des univers parallèles faisait partie de la science-fiction dans les années 50, aujourd’hui, le concept s’avère probable, comme tend à le démontrer le physicien Peter Gorham…
Son expérience, baptisée Antarctic Impulsive Transient Antenna (Anita), tente d’expliquer le principe en faisant un petit voyage par le centre de la Terre et en remontant le temps jusqu’au Big Bang. Tout ça fonctionne à base de rayons cosmiques, d’ondes radios, de particules expérimentales et de haute énergie. Sans oublier, évidemment, les neutrinos…
Si vous n’avez rien compris, ne comptez pas sur Universal Theory pour jouer le rôle de vulgarisateur.
Universal Theory est le troisième film de Timm Kröger, après Zerrumpelt Herz (2014) littéralement Cœur en miettes, et Das leicht beunruhigende Schaukeln bei der Fahrt ins Tal (2012), autrement dit : Le balancement légèrement inquiétant lors de la descente dans la vallée. Une œuvre dont les titres et les sujets marquent une évidente ambition artistique, s’éloignant des sentiers battus, personnelle, mais également très intellectuelle.
D’ailleurs, Universal Theory est auréolé de prix… Meilleur film indépendant décerné à Venise, Prix du public et Grand prix nouveau genre Canal+ à L’Étrange Festival, Prix de la critique à Sitges… Preuve que le film dispose d’évidentes qualités.
Et de l’art
Néanmoins, pour apprécier ces vertus à leur juste valeur, le spectateur devra inévitablement faire des efforts. En particulier accepter le rythme lancinant sur lequel se déroule l’histoire, ainsi qu’une intrigue insondable comme un manteau de neige.
L’expérience peut néanmoins s’avérer fascinante.
Ainsi, la musique symphonique tente de nous plonger dans les années 50 en prenant les teintes des meilleurs BO de Bernard Herrmann. En parallèle, les magnifiques images conçues par Roland Stuprich (Was wir fuerchten) s’inspirent de la Nouvelle Vague pour le visuel et du Troisième homme (1949) pour l’ambiance “après-guerre”.
De la même manière, le tapis aux motifs qui se répètent à l’infini, le noir et blanc et le héros halluciné pourront aussi évoquer Erasherhead (1977) de David Lynch.
C’est peu dire que Universal Theory se rattache constamment à d’illustres prédécesseurs.
Pareillement, les sous-thèmes abordés par le film puisent dans des tableaux rappelant d’innombrables souvenirs cinématographiques… La montagne mystérieuse et inquiétante, une fuite d’uranium, d’étranges nuages, des avalanches, un orage magnétique, des doppelgängers, des hommes taciturnes drapés dans leurs sombres manteaux, les expériences scientifiques menées par les nazis…
Dès lors, le film ne génère pas seulement une ambiance, il crée également des émotions empreintes de nostalgie : Le château évoque celui de Frankenstein, les complots mystérieux semblent annoncer l’entrée en scène de David Vincent et de ses Envahisseurs…
Des impressions qui restent néanmoins réservées aux plus patients car les querelles d’intellectuels débitant des dialogues lunaires ne seront probablement pas du goût de tous. Dans sa dernière partie, la mélancolie qui teinte le métrage a même tendance à se transformer en ennui.
Allemagne, Autriche, Suisse - 2023 - Timm Kröger
Titres alternatifs : Die Theorie von Allem
Interprètes : Jan Bülow, Olivia Ross, Hanns Zischler, Gottfried Breitfuss, David Bennent, Philippe Graber, Imogen Kogge...