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À bout portant – révolution intérieure

A bout portant, nouveau film de Franziska Stünkel depuis Vineta en 2006, est une œuvre oppressante, entre thriller politique et psychologique. Puisant dans une période sombre durant laquelle l’Allemagne se montrait divisée, l’histoire s’intéresse aux combats intérieurs que génère un système oppresseur aux discours contradictoires.

À bout portant – révolution intérieure

Le destin de Lutz Eigendorf

En ex-RDA, Franz Walter vient de terminer son doctorat et s’apprête à se rendre en Éthiopie afin de prendre ses fonctions à l’étranger. Dans l’avion, il est intercepté par les services de renseignement qui lui proposent d’intégrer l’administration du régime socialiste. Plus besoin de partir, il peut rester en RDA avec sa future épouse. Par ailleurs, un nouvel appartement bien plus spacieux que le précédent lui est attribué. Son supérieur est un certain Dirk Hartmann qui lui explique sa première mission : faire revenir au bercail un joueur de football qui vient de fuir à l’Ouest. Franz est convaincu du bien-fondé de l’opération. Néanmoins, la découverte des méthodes employées par son collègue l’amène, petit à petit, à questionner ses convictions et sa fidélité envers le système.

Sans prétendre à l’authenticité historique, À bout portant exploite et mélange deux affaires qui se sont réellement déroulées.

D’une part, le dossier Lutz Eigendorf, joueur du Dynamo Berlin qui, en 1979, profite d’un match amical se déroulant en RFA pour fuir à l’Ouest. Quelques années plus tard, le joueur trouve la mort dans un accident de la route. Les circonstances troubles de cet accident laissent à penser qu’il pourrait s’agir d’un meurtre fomenté par le ministère de la Sécurité d’État de la RDA.

D’autre part, le film s’appuie sur le cas de Werner Teske, condamné à mort pour espionnage en juin 1981 et considéré comme la dernière victime de la RDA, l’ultime exécution de la longue existence du régime l’ex-Allemagne de l’Est.

À bout portant – révolution intérieure

Deux hommes, une femme, un régime

Pour mettre en images ces destins tragiques, le film de Franziska Stünkel s’appuie sur une interprétation exceptionnelle de Lars Eidinger.

Plutôt que de composer un personnage invulnérable, l’acteur élabore un citoyen honnête, convaincu de ses valeurs, se livrant entièrement, quitte à exposer sa fragilité.

Cet abandon se révèle, symboliquement, dès la première scène durant laquelle l’acteur apparaît entièrement nu devant la fenêtre de son appartement où s’étend, face à lui, son pays : la RDA.

Ainsi, dès le départ, Lars Eidinger, alias Franz Walter, se montre touchant et donne au film un ton tragique, sans pourtant jamais verser dans le pathos. C’est peu dire qu’À bout portant est bien un film bouleversant.

Luise Heyer incarne son épouse, un phare qui n’aura finalement que peu d’influence sur le sort de son mari, comme si rien ne pouvait résister à l’appareil d’État.

Logiquement, le personnage de Dirk, incarné par Devid Striesow, aura une emprise bien plus prégnante sur l’avenir de Franz. L’employé dédie sa vie au système, mais uniquement dans le but de favoriser sa carrière. Ainsi, s’il se rend à l’Ouest pour jouer aux espions, c’est d’abord pour profiter des avantages du capitalisme : les boîtes de nuit, l’alcool, les femmes… En somme, un traître envers son épouse et l’idéologie du pays, mais pas envers le régime.

À bout portant – révolution intérieure

Les valeurs d’un régime totalitaire

Franziska Stünkel se défend pourtant de pointer du doigt le régime dans lequel a vécu une partie des Allemands réunifiés : “Avec À bout portant, il ne s’agit pas de blâmer, mais de contribuer à la visibilité d’un fait historique, d’apporter une pièce supplémentaire au puzzle de l’Histoire. De plus, le sujet ne doit pas être considéré uniquement d’un point de vue historique – il y a encore plus de 50 États avec la peine de mort dans leur code pénal. Le sujet n’est malheureusement pas terminé à l’échelle mondiale”.

Il est vrai que la réalisatrice ne condamne jamais l’idéologie, à proprement parler. D’ailleurs, c’est même le héros qui incarne avec le plus de sincérité l’idéal socialiste… À l’instar du protagoniste principal de La Vie des autres. Deux hommes prêts à tout pour leurs valeurs.

Sur la forme, l’utilisation de teintes brunes et sépias pour les images offre au métrage une couleur typique de la fin des années 70 et du début des années 80. L’impression se trouve confortée par l’emploi de musique pop et rock de l’époque faisant partie du quotidien des personnages. Par ailleurs, les paroles des chansons ne sont pas sans effet sur la dynamique du film puisqu’elles enjoignent littéralement Franz à suivre ses valeurs, servant même pour ainsi dire de guides.

Cumulés, ces éléments offrent une véritable plongée au cœur de l’époque, permettant au film de faire preuve d’un réalisme évident. L’atmosphère vague et oppressante sert alors également de levain à l’évolution de Franz qui s’opère sans voix off ou grand renfort de cris et de fureur… Or, passer de la conviction au doute et de la loyauté à la dissidence ne peut être en effet que le fruit d’une réflexion intime.

Un compromis artistique d’autant plus pertinent pour un régime comme celui de la RDA qui, devenu maître dans l’art d’espionner chacun de ses ressortissants, était d’abord une prison intérieure.


Allemagne
- 2021 - Franziska Stünkel
Titres alternatifs : Nahschuss
Interprètes : Lars Eidinger, Devid Striesow, Luise Heyer, Paula Kalenberg, Peter Benedict, Victoria Trauttmansdorff, Andreas Schröders, Moritz Jahn...


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Article signé André Quintaine
D'origine allemande et passionné de cinéma de genre,
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du cinéma allemand sur ThrillerAllee.
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