Dawn Breaks Behind the Eyes – entre tradition et expérimentation
Tout en livrant de belles images qui font honneur au cinéma, Dawn Breaks Behind the Eyes mélange subtilement le pulp avec l’art et essai, générant des réflexions intéressantes sur tradition et expérimentation.
Il fait nuit noire. Margot et Dieter arrivent au château dont la jeune femme a hérité. Dieter souhaite vendre ce qu’il considère être une ruine. Pour sa part, Margot compte bien conserver le bien familial et y vivre jusqu’à la fin de ses jours. Les tensions dans le couple vont crescendo. Jusqu’à ce que Dieter fasse des découvertes inquiétantes dans la cave et décide de quitter les lieux. Mais il est déjà trop tard. Alors qu’il atermoyait, Margot s’est transformée en vampire… Alors qu’elle promet des plaisirs insoupçonnés à son mari, elle lui arrache le pénis de ses mains nues ! C’est alors que la lumière s’allume : « Coupez, la prise est bonne ». La dernière séquence du film d’horreur est bouclée. L’équipe s’apprête à faire la fête dans le château, qui recèle bien d’autres mystères…
Film européen et fier de l’être
C’était donc ça ! Si le jeu des acteurs semblait si hésitant lors de cette longue mise en bouche, c’est parce qu’on se trouvait au cœur d’un film d’horreur, de série B, voire Z de surcroît… Un prologue qui fait les yeux doux au cinéma des années 60 et du début des années 70. En effet, les éclairages colorés font référence au cinéma italien de Mario Bava. Et le magnifique château Herrenhaus Vogelsang, érigé à côté de Rostock dans le nord-est de l’Allemagne, assure l’ambiance fantastique et étrange. La bande-son, qui use allègrement du tonnerre et d’une musique aux accents rétro, insiste encore pour créer une ambiance très européenne.
Et effectivement, le château, avec son intérieur démuni et dépouillé, évoquent aussi les œuvres de Jean Rollin. En particulier lorsque les vampires font leur apparition. Ainsi, Dawn Breaks Behind the Eyes exploite affectueusement le patrimoine européen et fait irrémédiablement référence au cinéma du vieux continent. En voyant le film de Kevin Kopacka, on ne peut pas s’empêcher de penser que tourner le dos à son héritage, c’est renier ses origines et, dans une certaine mesure, se trahir. Et également se laisser coloniser par des thématiques qui ne nous sont pas propres. Autrement dit, en Europe, produire plus de films dans des châteaux assurerait notre identité culturelle.
Film expérimental
Après ce clin d’oeil à notre riche passé, la suite de Dawn Breaks Behind the Eyes devient plus moderne, générant un cauchemar bien plus ambigu.
Un surprenant réquisitoire politique, quelques séquences subversives, comme une sulfureuse orgie… Sont autant d’éléments démontrant la capacité du réalisateur à capter l’attention du spectateur. Et à chaque fois, les images bénéficient d’une évidente attention.
Toutefois, Kevin Kopacka s’avère moins heureux en expérimentant dans le découpage. En effet, les différents niveaux de réalité se recoupant pour que la fin de l’histoire influence son début, s’imbriquent de manière si absconse que le film en perd son public. Et la logique de l’histoire, qui joue avec l’idée d’un temps interdimensionnel, risque d’échapper aux spectateurs, même les plus attentifs d’entre eux. L’ennui s’installe, durablement de surcroît.
Film pour festivaliers
Projeté dans des dizaines de festivals, cet handicap n’a pas empêché Dawn Breaks Behind the Eyes de se voir auréolé de nombreux prix.
Le courage du film, souvent très beau, envoûtant et foncièrement européen, explique probablement cette réussite dans les conventions. Néanmoins, le tout s’avère assez peu enthousiasmant, réussissant même l’exploit d’être ennuyeux, malgré une durée resserrée de 75 minutes.
Allemagne - 2019 - Kevin Kopacka
Titres alternatifs : Hinter den Augen die Dämmerung
Interprètes : Jeff Wilbusch, Anna Platen, Frederik von Lüttichau, Luisa Taraz, Christopher Ramm, Robert Nickisch...