Seule la joie – le bonheur contre tous
Seule la joie, c’est la rencontre de deux femmes et de deux façons de pratiquer le plus vieux métier du monde…
Originaire d’une petite ville de province, Sascha officie depuis plusieurs années dans une maison close de Berlin ; ces établissements sont légaux en Allemagne. Elle maîtrise son métier sur le bout des doigts. Maria, pour sa part, est la petite nouvelle qui vient renforcer l’équipe. Si Maria, la jeune émigrée italienne, attire autant Sascha, ce n’est pas seulement pour son exotisme, ses poils sous les bras ou ses tatouages. À travers leur affection, Sascha découvre que les murs qu’elle a construits pour se protéger ne sont finalement pas aussi solides qu’elle le pensait…
Maria est un produit de son époque qui voit les métiers du sexe en passe d’être acceptés par la société. Sascha, en revanche, souffre de sa condition de prostituée. Au point qu’elle s’est construite contre les autres.
Sascha – envers et contre tous
Ainsi est exposée la vie de Sascha qui n’a certes pas été épargnée par la vie. Elle cumule, bien malgré elle d’ailleurs, tous les stéréotypes que l’on colle sur le dos des prostituées… Une enfance difficile dans un petit village rempli d’esprits étriqués qui se sont servis d’elle, et en particulier de son corps. Naturellement, sa vision de la gent masculine n’est donc pas glorieuse pour les mâles. Désormais, ces hommes constituent un portefeuille client et elle ne les voit certainement pas comme de potentiels candidats à des relations sentimentales.
Pour autant, les hommes qui composent la principale source de revenus de Sascha ne sont clairement pas dépeints comme de mauvais bougres pressant les femmes à réaliser leurs fantasmes et les condamnant à accomplir des choses innommables. En effet, les relations décrites dans le film entre les hommes et les femmes sont charnelles mais pas bestiales. Elles restent humaines, malgré le commerce des corps. Certaines séquences sont même touchantes, tordant le cou à cette vision simpliste colportant l’image d’hommes en quête de coïts et rien d’autre.
Dès lors, le ressentiment qu’entretient Sascha envers le sexe fort apparaît injuste et auto-mutilant, dans la mesure où elle s’isole en réaction et s’avère profondément malheureuse.
Des sentiments dans un monde cru
En réalisatrice soucieuse de ne pas porter de jugement, Henrika Kull propose, à travers les personnages de Maria et Sascha, une œuvre qui s’élève au-delà du débat abolitionnistes vs. prohibitionnistes.
Ainsi, la réalisatrice préfère d’abord s’intéresser aux personnes qui composent ce petit monde à part. Un monde qu’elle connaît d’ailleurs très bien puisque Henrika Kull s’est efforcée d’entretenir des liens qu’elle avait tissés avec le milieu après la réalisation d’un court-métrage en 16 mm… La maison close dépeinte dans Seule la joie existe d’ailleurs vraiment. La dame incarnant la madame claude locale joue même son propre rôle. Quant aux deux actrices principales, elles se sont attachées à côtoyer les filles dans leur quotidien… La maison close était parfaitement fonctionnelle durant le tournage.
Même si, de l’aveu même de Henrika Kull, le bordel dépeint dans le film figure plutôt dans ce qui se fait de mieux dans le genre, Seule la joie offre un cadre réaliste au thème principal qui reste une histoire d’amour entre filles dans un monde qui sexualise le corps des femmes tout en stigmatisant le travail du sexe.
L’essence de la vie
Le film est ainsi peu spectaculaire. Les grands discours sur le capitalisme qui asservit les corps et les âmes sont bien aux abonnés absents. Pas de glorification, pas de condamnation. Malgré le sujet, le film fait même l’impasse sur le voyeurisme, bien que les actes monétisés soient crûment exposés. Seule la joie prend ainsi plutôt la forme d’un documentaire qui s’attache à être au plus près possible de ses protagonistes. Dès lors, Seule la joie, dont le titre original signifie bonheur, s’efforce d’exprimer le vrai sentiment d’amour, et pas le désir sexuel ou la prise de revanche sur ceux qui nous ont fait souffrir. Tout cela pour ne conserver en ligne de mire qu’un seul objectif : la joie.
Allemagne - 2021 - Henrika Kull
Titres alternatifs : Glück, Bliss
Interprètes : Katharina Behrens, Eva Collé, Nele Kayenberg, Jean-Luc Bubert, Petra Kauner, Bence Máté...